Avec son trio Beak>, Geoff Barrow, l’éminence grise de Portishead, affirme son goût pour un rock tranchant, enfant terrible du krautrock et du post-punk.
Du punk, l’histoire officielle n’a retenu que le côté provocateur, les outrances d’un mouvement qui voulait cracher à la face du rock hippie et à papa. Ce que l’histoire officielle a oublié, c’est que le punk a aussi permis aux adeptes du binaire de renouveler leur panier de références. Car ce n’est pas seulement dans le garage sound des origines que les insurgés de 1977 ont fourbi leurs armes. Leur venin, ces langues de vipère l’ont aussi puisé dans les philtres corsés du krautrock, du dub, de l’électronique primitive, de l’expérimentation bruitiste, de l’électricité coltranienne de Television ou encore de la pop froide de Bowie et Eno. Un tel brassage de sons devait engendrer une vaste refondation du langage rock : une mission parfaitement accomplie par le post-punk, l’un des derniers grands pics de créativité musicale du XXe siècle.
Ce sont ces sommets-là auxquels Beak> – le trio récréatif de Geoff Barrow, en congé provisoire de Portishead – se mesure aujourd’hui. La démarche est risquée : on ne compte plus les groupes qui, sous prétexte de renouer avec l’esthétique des eighties, tricotent un triste tissu de clichetons, l’inspiration bien calée dans les pantoufles. Mais Barrow, qui a montré son amour du désordre avec Third, le très âpre dernier album de Portishead, n’est pas homme à se ranger sous la bannière du simple revival. La montagne post-punk, lui et ses compagnons de cordée (Bill Fullet et Matt Williams) l’abordent par des voies escarpées qui n’ont rien de chemins balisés.
Certes, des reliefs du passé surgissent ici et là : il y a ces batteries métronomiques et ces coulures de claviers analogiques qui posent Beak> en héritier déclaré de Neu! et de Can (Backwell, I Know), ces mélodies comme taillées à la serpe par les mains raides de Joy Division (Blagdon Lake), ou encore ces voix spectrales, noyées dans l’écho, qui renverront certains à leurs années cold-wave (Ham Green, The Cornubia). Mais Barrow et les siens, portés par l’énergie brute et le goût du jeu qui les animent (l’album, fruit de douze jours d’improvisation, a été enregistré sans overdubs, avant d’être remonté et trituré), parviennent en permanence à s’extirper de ce nuage d’influences : inspirés par leurs aînés, ils n’en gardent pas moins cette gestuelle instinctive qui est l’apanage des vrais pionniers.