Premier rôle de la série The Leftovers, interprète du mythique Adam Kesher dans Mulholland Drive, réalisateur, scénariste, et poster boy de l’année, Justin Theroux est l’une des personnalités les plus cool et insaisissables du cinéma US. Pas mal pour un type à qui tout le monde promettait la lose.
Après des années de relatif anonymat, Justin Theroux connaissait son grand moment en 2015 grâce à la série The Leftovers, qui lui valut une large reconnaissance critique et publique. Dans cet excellent drama diffusé sur HBO, où il incarne le mystérieux shérif Kevin Garvey, l’acteur de 44 ans apparaissait enfin arrivé à l’âge de maturité, déployant une intensité mélancolique et une rage animale jusqu’ici insoupçonnées.
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Mais ce n’est pas de son rôle dans la série de Damon Lindelof dont est venu parler le comédien à Paris le 29 janvier. Ce jour-là, il accompagnait Will Ferrell et Owen Wilson pour assurer la promo d’un autre de ses projets, radicalement différent : Zoolander 2, la suite de la comédie dégénérée de Ben Stiller, dont Theroux a coécrit le script.
« La plupart des gens l’ignorent mais ouais, je suis aussi scénariste, pose d’emblée l’acteur, affalé à la coule dans le canapé d’un hôtel de la capitale. C’est Ben qui m’a mis le pied à l’étrier. Il savait que j’écrivais des trucs ici ou là, alors un jour il m’a proposé de participer au script de son film, Tonnerre sous les tropiques. Et ça a tellement bien marché qu’on rempile sur Zoolander 2. »
Passer d’une série mélodramatique hyper adulte à une parodie de la mode n’est pas un problème pour Justin Theroux : le bonhomme aime les paradoxes. Mieux : il en a fait un art de vivre.
Un seul guide, le plaisir
Son CV peut en témoigner. Depuis son apparition dans le cinéma américain, au mitan des nineties, Justin Theroux aura été tour à tour un acteur de seconde zone pour des séries télé, l’égérie masculine de l’un des plus grands auteurs contemporains (David Lynch, qui lui confia deux rôles dans ses derniers films, Mulholland Drive et Inland Empire), le réalisateur d’un obscur long métrage indé, Dedication, et le scénariste d’un blockbuster Marvel destiné au mutliplex, Iron Man 2.
« Tout cela n’a aucun sens n’est-ce pas ? s’amuse-t-il, lorsqu’on l’interroge sur ses identités multiples. Je crois que depuis mes débuts je m’étais convaincu de ne surtout pas me laisser enfermer dans une fonction particulière, de pouvoir faire plusieurs trucs à la fois, sans chercher la cohérence. Je ne veux pas forcément faire œuvre. Le seul truc qui me guide, c’est plutôt une simple question de plaisir, d’envie. »
Owen Wilson, son partenaire sur le tournage de Zoolander 2, ne cache pas son admiration pour le caméléon Theroux :
« Il me fait penser à un homme de la Renaissance, nous confie le comédien. Il peut se projeter dans toutes les disciplines et il est aussi bon en tant qu’acteur, scénariste ou réalisateur. C’est très rare et précieux ce don d’ubiquité. »
Mais avant d’être partout, jusque dans les pages gossip de la presse US, où son couple avec Jennifer Aniston passionne les paparazzis, Justin Theroux a longtemps été nulle part. Un type programmé pour la lose. Fils d’une célèbre journaliste du Washington Post et d’un avocat, neveu de l’écrivain Alexander Theroux, il a grandi dans un milieu lettré et cosmopolite, dont il s’est très vite révélé être le mouton noir.
Rêves de New York
Pas vraiment attiré par la littérature ni les sciences, il est recalé de toutes les écoles de sa région et passe le plus clair de son temps le nez planté devant un écran de télé, où il guette chaque apparition de son modèle ultime, Steve Martin. Diagnostiqué hyperactif à l’adolescence, il se trouve une passion grâce au théâtre et à la peinture, qu’il étudie avant de dégager au plus vite de Washington, dont il ne supporte plus l’esprit conservateur.
“Je rêvais de New York, se souvient-il. C’était presque devenu une obsession : je voulais connaître la scène rock du coin, me mêler au milieu alternatif, traîner au CBGB, aller sur Broadway. L’imaginaire de New York m’aspirait.”
A peine majeur, Justin Theroux rejoint enfin la ville de ses fantasmes, et se confronte rapidement à l’envers du décor : sans fric, sans contacts dans l’industrie du cinéma, il vit la nuit et accumule les jobs de bartender, danseur, ou peintre en bâtiment.
Heureusement le jeune homme a un avantage : il est sexy, cool, et plutôt doué au jeu social. A force de traîner dans les clubs de la ville, il se fait repérer par un agent qui lui dégotte ses premiers rôles dans des productions off-Broadway et à la télévision. Justin Theroux apparaît alors dans des épisodes de tous les shows vaguement cultes des late nineties : Spin City, Ally McBeal, Sex and The City, New York Undercorver, etc.
“Ça n’était pas grand-chose, juste une manière de gagner ma vie, relativise l’acteur, qui dit avoir tiré de ces expériences quelques certitudes sur l’industrie télé. J’ai su assez vite que je ne voulais pas consacrer ma carrière à ce genre de séries mainstream. Un jour, alors que je tournais une scène pour un cop show, je suis quasiment tombé en dépression tellement mon texte était nul, ringard, sans épaisseur.”
Il se réconcilie avec le petit écran lorsqu’Alan Ball l’embauche en 2003 pour incarner un personnage récurrent de son show Six Feet Under, création phare quoiqu’un peu déconsidérée du nouvel âge d’or des séries télé.
« Là, je découvrais un autre monde, s’emballe l’acteur. Je comprenais ce qu’était une série d’auteur, où les scénaristes bénéficient d’une vraie liberté, et où ils s’investissent à fond dans leur histoire. Ça me changeait de toutes ces séries d’usine, qui tournent à 30, 40 épisodes par saison. Je revis un peu le même état de grâce avec The Leftovers aujourd’hui. Le show est tout entier piloté par l’esprit bouillonnant de Damon Lindelof. J’avais rarement vu un auteur aussi investi, engagé dans sa création. Il se rend littéralement malade à chaque fois qu’il écrit un épisode…”
La rencontre avec master Lynch
Une autre rencontre fut déterminante dans la carrière de Justin Theroux. Elle eut lieu au mois d’aout 1999. L’acteur, qui multipliait alors les brèves apparitions dans des séries télé populaires, reçut un coup de téléphone de Los Angeles. C’était David Lynch, qui lui proposait le rôle d’Adam Kesher dans son projet de pilote baptisé Mulholland Drive, et originellement destiné à une diffusion sur la chaîne ABC. “Je ne sais toujours pas pourquoi il a pensé à moi, ni ce que je lui inspirais”, remet l’acteur, dont la voix frissonne d’admiration à l’évocation du « “master Lynch”.
Dans la peau de ce jeune réalisateur arrogant et sexy, traqué par une obscure mafia, Justin Theroux tenait son premier rôle majeur et imposait le nom d’Adam Kesher au sommet de la pop-culture. Il retrouvait David Lynch quelques années plus tard pour le tournage de son dernier film, Inland Empire, une expérience radicale et abstraite dont l’acteur garde pourtant un souvenir radieux.
« On avait l’impression de tourner une comédie. Je connais bien la réputation de David: on dit que c’est un type froid, distant, un peu perché. Mais c’est tout l’inverse : c’est l’un des mecs les plus cool et ouverts que j’ai rencontrés », explique Justin Theroux, fidèle à cette espèce de nonchalance qui le caractérise, cette manière de ne jamais rien prendre vraiment au sérieux.
Rétrospectivement, c’est pourtant grâce à Inland Empire que Justin Theroux amorça un tournant dans sa carrière. Pour la première fois, un cinéaste le libérait de son image de jeune premier, et révélait chez lui une forme d’inquiétude, de profondeur, de tristesse, que The Leftovers amplifiera avec une force inouïe – voir ainsi l’épisode 8 de la seconde saison, où l’acteur, balancé entre rêve et réalité, livre sans doute la plus grande performance de sa carrière. Il approuve :
« Damon Lindelof m’a permis de m’exprimer pleinement, il m’a écrit un rôle incroyable. J’avais très peur au début, parce que la série a été snobée par le public, alors que c’était le meilleur script que j’avais jamais lu. Mais heureusement la saison 2 a mis tout le monde d’accord.”
Son expérience sur The Leftovers lui a même donné une nouvelle perspective : bientôt, Justin Theroux ambitionne de devenir showrunner. Il veut aussi tourner son second long métrage en tant que réalisateur, écrire d’autres films, faire l’acteur pour les potes, bref, continuer à papillonner joyeusement entre les disciplines, inventer sa propre carrière, libre, décomplexée, unique à Hollywood.
Dans une interview accordée au magazine Details, David Lynch résumait ainsi l’affaire: « Justin se moque des frontières. Il s’autorise tout. Voilà ce qui le rend moderne”.
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