Protégée par l’ordonnance de 1945, la jeunesse délinquante subit aujourd’hui les coups de massue de la nouvelle idéologie sécuritaire.
Des Blousons noirs aux Zoulous, des Apaches à la racaille, des anges aux visages sales aux jeunes des cités, la longue histoire sémantique de la jeunesse délinquante forme le signe de son éternel pouvoir fantasmatique. Les mots qui la désignent et la ferment sur elle-même redoublent la crainte qu’elle est supposée générer auprès des adultes effrayés. Pure construction politique et médiatique, la jeunesse délinquante a toujours fait peur à la société, au point que la justice cherche à protéger les citoyens contre sa fureur de vivre. Jusqu’à faire voter des lois à répétition, comme le fit le président Sarkozy dans sa frénésie sécuritaire au milieu des années 2000.
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Valérie Manns le démontre bien dans son documentaire Les Enfants perdus, cette histoire de la jeunesse délinquante a aussi connu des moments de répit, de compréhension, d’élan pédagogique. Nourri d’entretiens très émouvants avec d’anciens délinquants, et avec des spécialistes lucides (le sociologue Laurent Mucchielli, l’avocat pour mineurs et ancien ministre de l’Intérieur Pierre Joxe, le juge pour enfants Jean-Pierre Rosenczveig), le film consigne l’histoire d’une longue dérive sécuritaire.
L’ordonnance de 1945 pose les bases d’une justice des mineurs, protectrice, préventive, préférant l’éducation à l’enfermement. La société française tente dans les années 70 de réintégrer les délinquants dans le cercle vertueux du jeu social grâce à une nouvelle génération d’éducateurs spécialisés. Mais la droite remet en cause dès les années 90 la philosophie de l’ordonnance de 1945 ; peu importe l’âge, seul compte l’acte ; peu importe la personne, seule compte la victime. La justice n’éduque plus, elle sanctionne : la jeunesse est devenue le bouc-émissaire des nouvelles peurs de la société qui “prend désormais des marteaux pour écraser des mouches” (Mucchielli).
À la mesure du conservatisme ambiant et du populisme pénal, la jeunesse délinquante subit aujourd’hui l’élargissement de l’espace des infractions : comme si on ne voulait en rien l’épargner, comme si on l’attendait au tournant du moindre écart avec la norme. Or, tous ceux qui ont éprouvé les blessures et les sanctions de leurs dérives passées, socialement déterminées, rappellent dans le film qu’“il n’y a pas de délinquants heureux”. Intelligemment, Valérie Manns prend la mesure de ce sinistre retournement de notre tradition juridique et intellectuelle : la protection de la jeunesse s’incline face à la projection de ses faiblesses.
Jean-Marie Durand
Les Enfants perdus – Histoire de la jeunesse délinquante documentaire de Valérie Manns. Lundi 13 mai, 23 h 40, France 3
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