La semaine dernière, un cunni sans plaisir, des applis qui rendent accros, des rencontres multiples, des genres et des codes qui se brouillent.
Je reste comme deux ronds de flan devant les deux jeunes femmes sur un lit qui font ta couve. La blonde, j’imagine, entreprend un cunnilingus sur la brune qui lui tient la tête de la main droite, tandis qu’elle se concentre sur son téléphone intelligent, tenu de la main gauche. Ce n’est pas très gai. Elle ne semble prendre aucun plaisir, et ne feint pas d’en prendre. C’est une photo de sexe sans rencontre, sans jouissance, sans présence.
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“Tous sex-addicts”, dit le titre. Mais à quoi cette jeune femme, apparemment si détachée, est-elle “accro” ? A son téléphone ? A la lecture de tes “révélations exclusives” concernant la Société générale ? A la promesse de rencontres à venir via des applications dédiées ? A l’infinité des possibles (face à laquelle la présence d’une personne unique ne peut qu’être décevante) ?
La partie tristoune de la contemplation
Dans le dossier, la sexologue Muriel Mehdaoui explique de ces accros “qu’ils sont plus addicts aux applis en elles-mêmes qu’au sexe” parce que Tinder, Happn et les autres hystérisent un problème vieux comme le monde : choisir c’est renoncer. La fille dans mon lit est le renoncement provisoire à l’infinité des filles possibles.
Etre accro à l’une, c’est renoncer aux autres. La réalité de la présence en chair auprès de moi me prive des multiples rencontres virtuelles que je pourrais faire. La jeune femme sur la photo ne choisit pas entre la partie de sexe du moment et les ébats potentiels à venir. Le réel dans la main droite, le virtuel dans la gauche, toujours entre les deux, jamais nulle part, la tête ailleurs. Voilà pour la partie tristoune de ma contemplation.
Si je reste ébahi devant cette image, c’est qu’elle est à double entrée. On ne sait pas vraiment ce qu’elle vient illustrer. Est-ce le dossier “Tous sex-addicts” assez flippant, ou celui expliquant “Comment le genre est devenu fluide”, plus réjouissant ? Dans ce dernier, qui évoque le brouillage des codes masculin et féminin dans le monde de la mode, l’aspect zapping permanent qui structure nos vies contemporaines prend un tour plus libérateur.
“On va d’un boulot à l’autre, d’un mec ou d’une meuf à l’autre… On ne s’engage pas, tout reste fluide”, raconte une jeune femme. Du coup, on est libre de se réinventer perpétuellement, on n’est jamais assigné à une identité, homme, femme, homo, hétéro, bi, chômeur, banquier, libéral, anarchiste, que sais-je ?
Et si on finissait tous dingues ?
Ce ne sont pas nécessairement deux personnes de genre féminin sur la photo. “On passe de l’un à l’autre d’un jour à l’autre, voire même plusieurs fois par jour.” Chaque moment, chaque rencontre recèle un potentiel de réécriture de soi infini.
On peut zapper sa propre identité comme on zappe des profils sur Tinder, voir en soi l’infinité de “je” que nous recelons, et liker le profil qui nous plaît le plus, ici et maintenant. Pas certain que cela ne finisse pas par nous rendre dingues. Mais c’est assez amusant.
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