N’écoutez pas trop légèrement le nouvel album d’Hot Chip : sous une surface clinquante, sous des aspects un peu plus lisse que ses prédécesseurs, One Life Stand planque une collection de chansons formidables, tordues et d’une grande efficacité.
Dans le bureau de leur label, Joe Goddard et Al Doyle s’assoient face à nous. Goddard a beaucoup grossi. Il a la voix fluette, hésitante, l’anglais tellement poli qu’il en devient glissant. Son fluet contrepoids Doyle, à peine plus à l’aise, ne parle que par bribes, à l’étroit sur son siège, engoncé dans son corps. A première vue, ces types sont les prototypes du pur nobody à l’anglaise. Goddard pourrait être désosseur de dindonneaux dans une usine glauque du Dorset.
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Doyle ressemble à un pâle et rouquin clerc de notaire, errant dans son quotidien en attendant la retraite. Leurs collègues, pas mieux : visuellement, c’est le catalogue de La Redoute ’92 (au mieux), des types paumés dans l’espace-temps parachutés en plein IIIe millénaire. Il faut se méfier des apparences. Car mine de pas grand-chose et sous le masque de rat de labo, Goddard est l’une des têtes pensantes de Hot Chip avec Alexis Taylor, Doyle en étant l’un des bras armés.
Hot Chip : l’un des plus excitants groupes à danser de la décennie. Un groupe dont les morceaux sont si beaux, si efficaces, si parfaits pour le sexe qu’on les imagine responsables chaque jour de dizaines d’orgasmes un peu partout dans le monde – sauf chez eux, évidemment. Un groupe extraordinaire sur scène, où il flambe vivant tous ceux qu’il croise. Un groupe taillé depuis son premier album, The Warning, pour faire fondre les dance-floors.
Un groupe qui a grandi jusqu’à faire onduler de plaisir les larges bandes FM : le précédent album Made in the Dark et son tube Ready for the Floor a été le plus platiné des tubes de leur histoire. On aurait légitimement pu craindre que leur succès les pousse à effacer le spleen sublime qui lie leurs bricolages chaloupés, entre romantisme triste et élasticités dynamiques, entre chants tremblants et rythmiques explosives. La gloire goulûment bue, on aurait pu imaginer les (vieux) garçons prendre une belle revanche sur la lose, en affreux ouineurs un peu bling-bling.
Absolument pas. Sans doute parce que Goddard, Doyle et leurs copains sont de véritables geeks. Des obsédés de musique et de musique uniquement. Parlez-leur d’autre chose et vous vous heurtez à du pas grand-chose. Entamez la discussion sur leur dernier album, One Life Stand, et ils ne s’arrêtent plus : la manière dont il a été conçu, le moindre de ses détails semblent être l’unique horizon des Anglais. La seule chose qui les excite, sans doute avec d’obscurs synthés vintage dégottés sur eBay.
S’ils ont beaucoup de choses à raconter, nous aussi. On commencera par un conseil : un survol trop partiel de l’album risque de décevoir. Car One Life Stand n’a pas grand-chose à voir avec ses prédécesseurs. Il clinque eighties, brille de mille feux synthétiques, semble plus lisse et plus plat. Trop pop, presque. Ils expliquent avoir travaillé en permanence la cohérence sonore d’un album pensé comme tel, notamment par l’utilisation constante des mêmes instruments, basse et piano notamment. Ils ont voulu démaquiller leur musique d’effets trop complexes, d’expérimentations trop ramenardes, de clashs stylistiques devenus systémiques.
Ils déclarent, plus simplement, avoir voulu arrêter de faire les malins et montrer leur songwriting dans son plus simple appareil. Quelques écoutes plus tard, les idées des garçons bien assimilées, les tubes potentiels et chansons chancelantes passés en revue, une vérité surgit : One Life Stand est peut-être le plus parfait, le plus touchant des albums de Hot Chip. Et son single One Life Stand, la grinçante Take It in, l’ouverture Thieves in the Night risquent une nouvelle fois de réchauffer quelques couettes amoureuses. Peut-être pas celles de Hot Chip : tant pis pour eux, tant mieux pour nous.
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