Les quatre membres de Club cheval, à grands coups d’expérimentations et d’heures passées en studio, sortent leur premier album. Nous les avons rencontrés pour l’occasion, et avons parlé de « Discipline ».
Les quatre Lillois de Club cheval s’apprêtent à sortir l’un des albums les plus attendus de 2016. À mi-chemin entre techno, house et R’n B, Discipline s’annonce d’ores et déjà comme un disque plus qu’ambitieux. Le disque sort le 4 mars et vous pouvez le pré-commander ici. Alors qu’une partie de la presse américaine les a déjà adoubés et les voit comme les nouveaux Daft Punk, deux membres du groupe ont répondu à nos questions. On retrouve donc Canblaster et Panteros666 dans le sous-sol des locaux de leur label Bromance, au milieu de bouteilles de gin et d’enceintes poussiéreuses. L’occasion de revenir sur la genèse du groupe, celle de Discipline, mais aussi, par exemple, sur le rôle que tient aujourd’hui internet dans la vie d’un musicien.
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D’où vous est venue l’idée de créer Club cheval?
Panteros666 – On était tous des tarés de musique, dans des styles différents. On s’est rencontrés à Lille à la fac, alors que la musique électronique était un milieu réservé à quelques passionnés : il va sans dire qu’il n’y avait pas de club dans le coin. Du coup, je saoulais tous mes potes avec l’electro.
Canblaster – Et moi j’étais à Douai, tu imagines bien que personne n’était là-dedans (rires). Mais on avait quand même la chance d’avoir une bonne radio, qui s’appelait Contact FM.
Panteros666 – Il y avait Galaxy aussi, mais qui restait quand même très portée sur la techno tuning. Ensuite il y avait aussi des trucs très commerciaux, qui passaient David Guetta, Bob Sinclar, etc. Personnellement j’ai plus découvert l’électro par le biais de label comme Gigolo Records, Viewlexx, des trucs de disco un peu bizarres.
Canblaster – Moi c’était plus Laurent Garnier et Détroit.
Panteros666 – Ouais, et Sam écoutait des trucs world, comme l’électro brésilienne. Alors que Myd était plus électro-clash. Voilà, au départ c’étaient nos obsessions. Moi j’étais fringué en chanteur d’italo-disco, alors que Myd était habillé tout en fluo (rires). On s’est dit qu’on allait mettre toutes ces choses en commun, toutes ces influences, pour travailler ensemble.
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Du coup, vous avez chacun des rôles déterminés ?
Panteros666 – Tu te doutes qu’on est tous capables de faire les choses de A à Z, avec nos projets solo. Mais quand tu es en groupe, il faut quand même ordonner le tout, sinon ça part dans tous les sens. Finalement, la musique, c’est assez simple : il y a les voix, la mélodie, la base rythmique et les basses. On a donc distribué les rôles : Sam s’occupe des voix, moi de la rythmique, Canblaster prend en charge les accords et les polyphonies, et Myd s’occupe des subs, de la basse et des leads.
Vous êtes presque un groupe de rock, finalement ?
Panteros666 – C’est exactement ce qu’on s’est dit oui !
Canblaster – Oui, et pour répondre à ta question, en tant que groupe Club cheval, on a chacun notre rôle bien distinct. Mais en tant que crew, ou quel que soit le nom qu’on appose là-dessus, on sait tous finir les chansons. Et chose essentielle : on est tous autonomes.
Dans beaucoup de groupes, il y a un leader. C’est votre cas ?
Canblaster – Pas vraiment, non. Enfin évidemment, il y en a un qui prend parfois plus d’initiatives que les autres, mais tout ça est très fluctuant.
Panteros666 – Sans compter qu’il y a énormément de choses à gérer dans la vie d’un groupe, aujourd’hui. Avant, tu arrivais, tu sortais ta guitare de ton fly case et tu composais. Maintenant, il faut être cool sur internet, gérer ses lives, faire de la communication, du merch… On est obligés de s’entraider, tout ne peut pas reposer sur les épaules d’un seul mec.
Canblaster – Même d’un point de vue musical, mec. Aujourd’hui, en plus de la maitrise de ton instrument, tu dois savoir le faire sonner, l’enregistrer. Le temps où il suffisait de composer et de jouer est révolu. De nos jours, un musicien doit savoir comment se débrouiller en studio. Il y a tellement de démos, tellement de mecs qui font de la musique, qu’on est obligés de tout savoir faire nous-même. Quand on regarde Kindness ou Toro Y Moi par exemple, ce sont des gars qui ont une vraie conscience de producteurs, et qui ont su se démerder seuls. Ils ont une vision pour leur projet.
Qu’est ce que vous pensez de la nécessité d’avoir une image, aujourd’hui ?
Panteros666 – C’est un truc qui existait déjà avant ! Il y avait ceux qui décidaient de s’en foutre et ceux qui en jouaient. De notre côté c’est venu naturellement, parce qu’on a commencé en postant nos morceaux sur un blog, donc on était déjà en constante interaction avec les gens. En fait, on s’est vraiment construit là-dessus, sur cette sorte de civilisation virtuelle.
Canblaster – Il y a aussi le fait que notre génération était la dernière à avoir une culture du téléchargement. Avant, on faisait “click droit / enregistrer sous” et on avait le morceau, avec lequel on pouvait s’amuser. On s’en foutait un peu de l’image du mec. Maintenant, avec le streaming, on est beaucoup plus dans une culture de la consommation. Il y a moins ce truc de pirate, à cracker des titres, à s’échanger les sites et les blogs sur lesquels on pouvait trouver des trucs rares…
Je vois. Parlons un peu de Discipline. Vous avez en partie fait produire ce disque par DJ Kore, qui est à l’origine plus tourné vers le rap. Pourquoi ?
Panteros666 – Quand on a fait écouter notre album à DJ Kore, on avait seulement des démos en version Club cheval, c’est à dire sans chant ni rien. Et on avait envie d’ajouter les éléments que tu trouves sur Discipline, comme du R’n B ou de la soul. C’était ça notre obsession : mélanger de l’électronique française avec le R’n B américain. On s’était pris l’album de Frank Ocean et les chansons de The Weeknd en pleine tronche ; on a beaucoup aimé ce genre de choses à la croisée de la pop et de l’expérimental, qui portent un message super beau à mon sens. Donc on est allé voir DJ Kore, qui est un grand nom du milieu, et il nous a aiguillé vers Rudy. Celui-ci a chanté sur la moitié de l’album. Et on peut dire qu’il est devenu un membre du groupe à part entière.
Canblaster – Kore nous a appris à nous canaliser, aussi.
Panteros666 – Ouais, parce qu’on avait plein d’idées et des tas de démos. On partait un peu dans tous les sens, et lui nous disait des trucs comme : “C’est ça que je veux voir. Garde ça, ça j’aime moins, ajoute ceci, cela.”
Canblaster – Je le vois un peu comme Nigel Godrich avec Radiohead, qui canalisait les mecs du groupe et leur disait où placer les choses. Pour te donner un exemple, au départ, le titre Discipline était une chanson où il y avait du rap. Lui après écoute attentive du morceau, nous a dit “non, c’est une track de techno, taillée pour les clubs”. Il avait senti le truc. Une autre chose importante c’est qu’il a, comme nous quatre, réussi à mettre de coté son égo. Rudy l’a également fait, il était vachement flexible, tant au niveau des paroles que d’un point de vue strictement musical.
Justement, à propos des paroles, qui les a écrites ?
Panteros666 – Tous, en fait. Il a écrit les premières versions mais il ne parlait que de cul et de thunes dedans, ce qui nous dérangeait un peu (rires). C’est dans la culture américaine, d’en parler de manière hyper crue et libérée, mais quand on a vu ça on était un peu en mode “Wouah, nous aussi on aime bien le cul et la thune, mais tranquille, mec” (rires). Pour eux c’est un peu une obsession, mais chez nous ces thèmes ne sont pas une fin en soi, donc on a recentré le discours sur des choses qui nous parlaient plus, comme l’amitié, les relations avec les filles, les sorties… Ici, personne ne comprend et ne fait attention aux paroles, mais quand on a joué aux USA, les gens chantaient, nous ont envoyé des tweets en nous complimentant… On pense que ça nous fera la même chose en Australie, et c’est vraiment cool.
Canblaster – Concernant Rudy, pour te donner un exemple, il y a cette chanson sur l’album, qui s’intitule Legends. Musicalement, elle donne la pêche, elle fait un peu hymne de stade, et au départ, le titre de Rudy était King Of The Bedroom (ndlr : en français, Le Roi De La Chambre). C’était un mélange entre lui, avec une meuf au lit, et le SuperBowl (rires).
Panteros666 – Mais toujours est-il que ce coté pop, qui se retrouve aussi sur dans les paroles, est allié à l’expérimental.
Canblaster – Un peu comme Daft Punk, ou Basement Jaxx, par exemple.
Et en live, Rudy chantera avec vous ?
Panteros666 – Sur certaines chansons, oui. Mais ensuite, on va pas mal remixer les voix en live.
Canblaster – Ce qu’on retrouve pas mal dans la culture du remix. Quand tu écoutes un peu ce qu’il se passe sur Soundcloud, les mecs triturent les voix en pitchant le tout de manière maladroite, ce qui apporte d’ailleurs un truc touchant. C’est ça qu’on veut faire, tout en y apportant notre maitrise de la chose.
Cette maitrise dont tu parles, c’est elle qui a donné le titre à l’album, Discipline ?
Panteros666 – Tout à fait. On a pris beaucoup de temps pour cet album. Comme quatre chercheurs dans un labo, chacun a beaucoup expérimenté, a beaucoup planché sur ce disque, et on a pas mal dû se cadrer pour mener à terme le projet.
Canblaster – Et c’est un terme qui est à double sens, puisque la musique est aussi une discipline. Avant, on était DJ, on amenait avec nous une clé USB et c‘était parti. Là il nous a fallu nous entrainer, pratiquer l’instrument. Ça faisait une dizaine d’années que je n’avais pas fait de piano le soir ; chacun d’entre nous a dû se remettre au boulot.
Panteros666 – Sans compter qu’on arrive sur scène avec tout notre matos ; quinze valises et deux cent câbles. Ça demande une organisation hyper-stricte, à la japonaise.
D’où la pochette…
Canblaster – Oui, pour la pochette on est allé un peu dans tous les sens avec Études. On s’est dit qu’on allait faire un truc à l’opposé de ce ce à quoi étaient habitués les gens de la part de Club cheval. Donc on s’est orientés vers quelque chose de froid et minimal. On leur a dit qu’on voulait faire une musique du futur, et la question “à quoi ressemblera l’homme du futur ?” est arrivée naturellement, avec en guise de réponse ce mec, qui est un architecte Coréen. Il nous fallait, je crois, ce type de physique un peu eurasien, qui est un mélange de plein de choses.
https://www.youtube.com/watch?v=QpLWk5-Sp1I
Et du coup ces titres, vous les voyez comme des musiques de clubs ou des chansons à écouter à la maison ?
Panteros666 – A la maison, clairement. C’est tout le but du projet, qui ensuite mutera, puisqu’on compte sortir tous les titres dans des versions “nuit”, remixées. Il y a mille manière de prendre une chanson, et on aime bien ce truc ultra-contemporain, qui est de se dire qu’une chanson a énormément de facettes.
Canblaster – Il y a quand même le titre Discipline, qui est très club…
Panteros666 – Oui mais même là, on joue des edits, en live. Il y avait en tout cas vraiment un but, qui était de faire un album d’écoute.
Tout le projet est très réfléchi, maitrisé. Voyez-vous Discipline comme un album concept ?
Canblaster – En fait il y a un truc important, c’est que dans la musique électronique, les albums sont souvent vus comme des cartes de visite pour les lives, ou des compiles d’EP. Et là, on voulait faire un LP dans la tradition de ce qui se fait depuis 50 ans, en travaillant vraiment dessus.
Panteros666 – C’est pour ça qu’il y a un début et une fin, que tous les morceaux se suivent. Un album, c’est un projet beaucoup plus ambitieux qu’un EP, mais le rendu est bien plus gratifiant. Je me souviens de cette phrase, que j’avais entendu sur France Inter et que j’ai volé à une troupe de théâtre, je crois (rires). Ça disait : seul on va plus vite, mais ensemble on va plus loin. C’est un peu devenu notre devise.
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