Une compétition tournée vers le cinéma d’intervention politique. Un palmarès discutable, mais quelques belles révélations.
En attribuant l’Ours d’or à Fuocoammare de Gianfranco Rosi (documentaire sur Lampedusa et les migrants) et le grand prix à Mort à Sarajevo de Danis Tanovic (élégie pour l’Europe à l’occasion du centenaire de l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand), le jury présidé par Meryl Streep a résumé les options dominantes (et habituelles) du directeur Dieter Kosslick qui avait placé la 66e Berlinale sous le signe de la crise migratoire : primauté du “grand sujet” et d’un cinéma explicitement politique et en regard avec l’actualité.
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Il convient certes de nuancer ce constat : le goût de Dieter Kosslick pour la “fiction de gauche” est une appétence, pas un dogme. Pour preuve, on pouvait aussi trouver dans la compétition (et au palmarès) des choix plus artistiques et plus risqués comme A Lullaby to the Sorrowful Mystery, luxuriante épopée de 8 heures du Philippin Lav Diaz où la révolution de 1896 dans son pays est passée aux filtres du romanesque, de la satire, du polar et du réalisme magique.
Le film le plus vif, ample et inspiré d’André Téchiné
Ainsi que L’Avenir, de Mia Hansen-Løve, chronique intimiste unanimement saluée par la critique internationale ; ou encore le rimbaldien Quand on a 17 ans, film le plus vif, ample et inspiré d’André Téchiné depuis des lustres, mais scandaleusement oublié par le jury.
Comme chaque année, la compétition berlinoise proposait des films qui n’avaient rien à faire là, comme Zero Days du Britannique Alex Gibney (docu intéressant sur la cyberguerre mais qui avait plus sa place dans une grille télé) ou l’inepte et poussiéreux Genius – la bio de l’éditeur d’Hemingway et de Fitzgerald –d’un autre Britannique à oublier, Michael Grandage.
310 000 tickets achetés par les Berlinois
Une compète faiblarde sauvée par trois ou quatre bons films, c’est la coutume à Berlin, ce qui n’empêche pas la Berlinale de se féliciter de son succès public (310 000 tickets achetés par les Berlinois), industriel (beaucoup de deals conclus au marché du film) et politique (25 000 euros collectés pour les migrants).
Si la vitrine du festival se préoccupe plus d’action politico-socio-culturelle que d’art cinématographique, il ne faut pas oublier les multiples sections parallèles (Panorama, Forum, Génération, Cinéma culinaire et on en passe…), véritable déferlante de films de 9 h à minuit où il est loisible de pêcher des premiers films, ou les derniers travaux de cinéastes tels que Wang Bing, Eugène Green, Avi Mograbi ou Ira Sachs.
Des gueux élevés au statut de stars du cinéma
On a aimé Between Fences d’Avi Mograbi, sur les immigrés africains en Israël qui sont bloqués dans des camps de transits, ou Le Fils de Joseph d’Eugène Green, conte filial inspiré de l’Ancien Testament, à la fois hiératique et désopilant, mais notre Ours d’or virtuel des programmes parallèles est Brothers of the Night de Patric Chiha (Le Domaine, Boys Like Us).
Le cinéaste autrichien a suivi de jeunes garçons bulgares qui se prostituent à Vienne dans les bars gays, et leur fait raconter leurs expériences devant la caméra. Bien que leur situation de prolétaires du sexe ne soit pas reluisante, le film n’a rien de misérabiliste mais séduit par son empathie et sa stylisation, élevant des gueux au statut de stars du cinéma.
Présence cinégénique impressionnante
Les gars ont une présence cinégénique impressionnante, un bagout inouï, ils sont filmés sous des lumières roses, rouges, bleutées, la BO est splendide, si bien que Brothers of the Night évoque Fassbinder, Pasolini ou Kenneth Anger, rien de moins. C’est aussi pour ce genre de découverte que la Berlinale vaut le déplacement.
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