Les mémoires de Remoundakis, lépreux crétois devenu le porte-parole de ses compagnons d’infortune au XXe siècle, révélés en 1973 par un film du trop oublié Jean-Daniel Pollet.
Epaminondas Remoundakis (1912-1978) est l’un des rares lépreux grecs à avoir laissé des témoignages de sa douloureuse existence en publiant ses mémoires. C’est le trop oublié Jean-Daniel Pollet qui attira l’attention sur lui et la situation dramatique des lépreux en Crète au XXe siècle grâce à un moyen métrage saisissant, L’Ordre (1973). Au départ, Jean Daniel Pollet a été aiguillé vers ce personnage par un ethnologue, Maurice Born, qui lui-même avait découvert et étudié les lépreux de Spinalonga la petite île où ils furent relégués jusqu’en 1957.
Devenu l’ami de Remoundakis, Born avait effectué avec lui des heures d’entretien où il racontait sa vie. Ses souvenirs retranscrits dépeignent non seulement la vie d’un lépreux mais aussi des Crétois en général au début du XXe siècle. Fils de paysan plutôt aisé, né dans une famille nombreuse, Remoundakis avait connu une enfance presque paradisiaque, au sens naturel, entre les travaux traditionnels des champs, la pêche en bateau autour des petites îles où sa famille cultivait des terres.
Premiers symptômes
Période chaleureuse et communautaire qui sera de courte durée puisque à quatorze ans, on détecte chez lui les premiers symptômes de la lèpre. Maladie relativement endémique en Crète, déjà diagnostiquée chez sa sœur, qui avait été envoyée vivre seule en quarantaine à Athènes.
Epanimondas la rejoindra là bas, où il entamera brillamment de brillantes études supérieures, tout en surveillant l’évolution de la maladie (il n’existait pas vraiment de médicaments appropriés à l’époque). Il se destine au métier d’avocat mais tout s’interrompt assez vite lorsque sa sœur est convoquée par la police – qui surveille de près les lépreux.
Remoundakis décrit le premier des cercles de l’enfer du lépreux : sa traque par les autorités, puis son envoi manu militari dans les léproseries d’Athènes et de l’île de Spinalonga en Crète. Existence de paria aggravée par une répression similaire à celle des hors-la-loi. Non seulement ces victimes innocentes d’une maladie étaient poursuivis comme des criminels et, mais on les enfermait dans des conditions moyenâgeuses où régnait l’insalubrité. Tout ceci à cause d’une maladie, certes effrayante dans certains cas extrêmes, puisqu’elle touchait les nerfs et rongeait la chair, défigurant et mutilant ses victimes.
Une maladie mystérieuse
Aujourd’hui, bien que la lèpre, rebaptisée “maladie de Hansen”, ait été largement jugulée dans le monde, où elle n’est plus présente que sporadiquement, ses origines et le processus par lequel on la contracte restent toujours assez mystérieuses. Après avoir lu les mémoires de Remoundakis, suivies d’une longue thèse archi-détaillée de Maurice Born, intitulée Archéologie d’une arrogance, sur le statut, l’évolution, et le traitement de la lèpre en Crète, du XIXe siècle à nos jours – qui constitue un tiers de l’ouvrage –, on a l’impression que la science n’a toujours pas bien cerné la véritable cause de la maladie.
On ne sait pas si elle s’attrape par contagion, hérédité, ou si elle est favorisée par certaines habitudes alimentaires (comme le fameux régime crétois tant vanté il y a quelques années). Bien sûr, ce livre n’est pas un ouvrage médical et sa portée reste avant tout sociologique et humaine.
Ce qui est certain et scandaleux, c’est que pendant des siècles des malheureux ont pâti de leur apparence qui les a mis au ban de la société, fait reléguer hors des villes et, dans le cas des Grecs et Crétois dont il est question, a conduit à la négation de leur existence légale (ils n’avaient pas de papiers, étaient rayés des registres, et des mémoires de leurs familles). C’étaient des non-hommes. Pourtant, ils n’étaient ni fous ni dangereux ; même leur contagion tant redoutée semble avoir surtout été une légende.
Heureusement, grâce à des hérauts comme Remoundakis, qui fut un remarquable révélateur et soutien de la cause des lépreux, ou bien à Maurice Born, la lèpre n’est plus un mal diabolique, mais une affection parmi d’autres.
Vies et morts d’un Crétois lépreux d’Epaminondas Remoundakis, suivi de Archéologie d’une arrogance de Maurice Born. Ed. Anacharsis (Coll. Famagouste), 528 p., 26 €