COP21, Notre-Dame-des-Landes, les boues rouges, Fessenheim : le nouveau directeur général de WWF-France questionne la cohérence gouvernementale sur l’écologie et appelle à casser les codes.
Journaliste, fondateur de l’ONG Finance Watch, pilier d’Europe Ecologie-Les Verts (EE-LV) à son lancement, Pascal Canfin a un parcours atypique, rien à voir avec celui de l’apparatchik. A l’image de ce qu’à voulu être EE-LV, son histoire dessine une envie de franchir les lignes. Ministre délégué au Développement du gouvernement Ayrault (de 2012 à 2014), il ne souhaite pas participer au gouvernement de Manuel Valls. Directeur général de WWF-France depuis janvier 2016, il veut « parler au ministre des Finances, à une multinationale française et à un groupe de militants en lutte contre Notre-Dame-des-Landes« .
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Les accords de la COP21 seront définitivement ratifiés en avril à l’ONU. Cette COP21 est-elle une réussite selon vous ?
Pascal Canfin – Dans une vie antérieure, j’ai été une des très rares personnes à conseiller à François Hollande d’accueillir la COP. C’était loin d’être gagné. Très peu de gens pariaient sur un accord à Paris. Toutes les ONG étaient prêtes à le dénoncer s’il n’avait été qu’un accord de façade. Cela n’est pas arrivé, ce n’est pas une coquille vide. L’objectif final de l’accord de Paris contient des choses extrêmement fortes : les 1.5- 2 degrés à respecter ; la neutralité carbone de l’économie dans la 2ème moitié du siècle ; la réorientation des flux financiers vers une économie décarbonée. Maintenant, est-ce qu’il suffit à transformer les modèles d’investissement et les politiques publiques ? Non. Le rôle du WWF et de la société civile est de s’assurer que les engagements seront tenus et de demander de la cohérence au nom de cet accord. Le dossier de l’aéroport à Notre Dame des Landes (NDDL) est un des premiers en France où l’exigence de cohérence de la COP21 doit s’imposer.
Comment contraindre les États à appliquer les accords de Paris ?
Cette question est évidemment très importante. La première contrainte est celle des pairs, des États entre eux, d’où l’importance des mécanismes de transparence de l’accord. Il y a aussi la contrainte que fait peser la société civile avec sa capacité à dénoncer, à jouer le rôle de vigie. La troisième contrainte sera juridique, mais pas nécessairement là où on l’attend : il n’a jamais été envisagé que l’accord débouche -malheureusement- sur une sorte de cours internationale du climat, comme les États l’ont fait avec l’OMC et les accords de libre-échange. Mais la contrainte juridique pourra peut-être peser bientôt. Dans le domaine financier, l’OCDE travaille en ce moment sur ce qu’on appelle le devoir fiduciaire.
Exemple : je suis un fond de pension. Je gère des milliards de dollars. Quelle est mon obligation légale vis à vis des retraités dont j’ai récupéré l’argent et à qui je dois servir des retraites ? C’est le rendement maximum en prenant en compte les risques. Jusqu’à présent le risque climat n’est pas pris en compte. Mais les choses ont changé en 2015 et si l’OCDE conclut que les fonds de pension sont légalement obligés d’intégrer la gestion du risque climatique au regard des intérêts de long terme des retraités épargnants alors c’est majeur ! Ça ne fait pas la une du 20h, mais le jour où cela change, des milliers de milliards de flux financiers se réorienteront progressivement. Un changement culturel est en train de s’opérer dans le monde financier et pour moi il est inéluctable. L’accord de Paris va accélérer ce processus et le WWF fait de cet enjeu un de ses trois grands leviers dans le monde entier.
On est très loin du retour au local et à la terre prôné par Pierre Rabhi, qui a d’ailleurs fortement critiqué la COP21…
Edgar Morin dit : “Il faut passer d’une philosophie du « ou » à une philosophie du « et”. Pour mettre en œuvre ce défi extraordinaire d’inventer l’économie décarbonée et sauver la planète, on a à la fois besoin de Pierre Rabhi et de Standards & Poor’s qui dégrade la note des entreprises parce qu’elles sont trop exposées au risque climatique ! Ils l’ont déjà fait dans 60 cas. Toute l’économie mondiale ne va pas se relocaliser mais on a besoin de Pierre Rabhi pour travailler sur le système de valeurs. La grande transformation pour sauver le climat se fera parce que les modèles économiques changeront mais aussi parce que le système de valeurs changera. Nous sommes face à un défi historique, additionnons les énergies au lieu de les opposer entre elles !
Quel rôle tient WWF dans ce spectre ?
Tenir tous les bouts. Pour sauver la planète, le WWF parle à la fois à Pierre Rabhi et à Standards & Poor’s ! Le climat est un enjeu civilisationnel. On ne fera pas la transition sans les entreprises, par contre on le fera contre certaines d’entre elles, notamment celles qui resteront arc boutées sur les énergies fossiles qui doivent largement rester dans le sous-sol. J’ai un parcours original, je peux mettre en connexion des gens qui ne se parlent pas nécessairement, casser les codes, et dire qu’on doit travailler ensemble pour bouger. Je peux parler au ministre des Finances, à une multinationale française et un groupe de militants en lutte contre Notre-Dame-des-Landes. C’est ma force, et c’est celle du WWF.
Un rapport de WWF a récemment alarmé sur un risque de burn out de la Méditerranée. Or Manuel Valls ne s’est pas opposé aux déversements de boues rouges de l’usine d’alumine Alteo à Gardanne (Bouches-du-Rhône), et ce contre l’avis de Ségolène Royal, la ministre de l’Ecologie. Dans ce cas-là, comment intervenez-vous ?
J’ai écrit une lettre au préfet de PACA qui a autorisé les six ans de délais supplémentaires en lui disant que WWF souhaite être membre du comité qui va contrôler les rejets résiduels de l’entreprise. Quand on discute avec les acteurs sur le terrain on voit que le dossier est plus complexe qu’il peut en avoir l’air. Nous serons dans la commission de suivi pour voir si les engagements sont tenus, les mesures sont fiables, le processus transparent et si le délai de six ans peut être raccourci. C’est notre rôle de vigie et nous allons le jouer pleinement.
NDDL, les boues rouges, Fessenheim : le gouvernement autorise quelques projets incompatibles avec l’écologie…
C’est la question de la cohérence que j’évoquais tout à l’heure. Soit François Hollande considère qu’il a signé un bout de papier à Paris et que ce bout de papier ne l’engage pas, soit ce qu’il a signé doit se décliner dans les politiques nationales. Le premier test évident c’est NDDL. Ensuite, la mise en œuvre réelle de la loi transition. Cette loi a été présentée comme une grande loi du quinquennat. On est en 2016, quatre ans après l’élection, et seules 19 mesures ont été couvertes par décret. Ça n’avance pas assez vite. La France est le pays européen le plus en retard dans le respect de son objectif en matière d’énergies renouvelables. Mon message est simple : ne laissons pas passer la chance industrielle extraordinaire que représente la transition écologique car elle ne se présentera pas deux fois ! Comme on le voit en Allemagne, la transition énergétique est aussi une politique de l’emploi créatrice de plusieurs centaines de milliers d’emplois.
Que pensez-vous de la proposition du Président de faire un référendum local sur NDDL ?
Elle répond surtout à un numéro d’équilibre politique. NDDL est un équipement d’envergure à minima régional et pas seulement local. Donc le référendum doit au moins permettre aux habitants du grand ouest de se prononcer. Sur le fond je reste persuadé que NDDL n’est pas la bonne solution. D’ailleurs une lettre récente des services de l’Etat dans les Pays de la Loire démontre une nouvelle fois que cet aéroport pose plus de problèmes qu’il n’en résout.
C’est pour toutes ces raisons que Nicolas Hulot, contrairement à Emmanuelle Cosse, a refusé la proposition de François Hollande ?
Je n’étais pas dans les discussions, mais il a dû considérer que le compte n’y était pas. Le côté marchandage “je te cède NDDL contre tu ne m’embêtes pas sur autre chose” me gêne beaucoup. Cela nuit à la crédibilité de la parole politique. Si François Hollande pense qu’il faut faire cet aéroport qu’il le dise et le fasse. Et inversement. On ne peut pas jouer l’écologie dans des négociations politiciennes. Elle mérite mieux. Sinon, cela montre que c’est une variable d’ajustement. Ce que j’attends du président c’est une vision.
Les départs et les entrées au gouvernement des représentants de l’écologie ne nuisent-ils pas aussi à la politique et à l’écologie ?
Je n’ai jamais considéré que la seule façon de faire de la politique, c’est-à-dire transformer le réel, passe nécessairement par le jugement partisan. Mon parcours le prouve. Il faut aujourd’hui casser les codes, être capable de se parler. WWF est la plus grand ONG de défense de l’environnement au monde et l’ONG environnementale préférée des Français. Plus de 8 Français sur 10 lui font confiance. C’est rare aujourd’hui d’être capable de fédérer dans la société française.
J’ai fixé trois missions aux équipes : alerter, protéger, transformer. En avril, on va faire une campagne internationale pour dénoncer les entreprises qui veulent exploiter les ressources minières ou hydrocarbures dans les grandes zones de biodiversité classée au patrimoine mondial de l’UNESCO. Dans le même temps, nous travaillons cette année avec Carrefour pour changer leur chaîne d’approvisionnement sur le poisson comme nous l’avons fait dans le passé sur le soja ou l’huile de palme.
La vision du WWF est claire : il faut aller chercher les quelques grandes filières qui sont les plus impactantes sur la biodiversité et sur le climat. 500 grandes entreprises dans le monde, qui produisent, transforment ou achètent du bœuf, du soja, du coton font le lien entre des milliards de producteurs et des milliards de consommateurs. Sur ces 500 entreprises 100 représentent la moitié du business. Par exemple, on travaille avec Michelin sur la question de l’hévéa durable. 70% de l’hévéa produit dans le monde l’est pour faire des pneus. Le 2ème acheteur mondial c’est Michelin. Travailler avec eux sur la certification d’une filière d’hévéa zéro déforestation a donc un impact potentiellement très fort.
Concernant le diesel, Ségolène Royal n’a-t-elle pas été un peu légère sur un sujet extrêmement grave ?
Je crois que Ségolène Royal a évolué sur le sujet. Elle a longtemps traîné les pieds, notamment sur la mise en place de la circulation alternée. Aujourd’hui la façon dont elle va gérer la question de la véracité des tests automobiles est déterminante. Je suis favorable à ce que les tests soient réalisés par des tiers extérieurs aux constructeurs et ouverts de manière transparente aux organisations de la société civile. C’est indispensable pour reconstruire la confiance.
On parle de la 6ème vague d’extinction des espèces. Que peut-on faire pour l’empêcher ?
Dans son rapport planète vivante, WWF analyse l’état de la planète. La pire situation n’est pas le climat mais la biodiversité ! On est face à un rythme d’extinction des espèces qui est une destruction massive de la vie. La nature est une chaine. Quand des pans entiers disparaissent cela nous affaiblit aussi. Il n’y a pas l’homme d’un côté et la biodiversité de l’autre. Nous sommes partie intégrante de la nature. C’est pourquoi ma conviction profonde est que l’écologie est l’humanisme du 21ème siècle.
Le ministère de l’Ecologie a été renommé ministère de l’environnement. Est-ce mauvais signe ?
Il y a des enjeux plus importants qu’une querelle sémantique. Ce que j’attends de Ségolène Royal à court terme ce sont deux choses. La première est de porter le maximum d’ambition sur le climat pour que l’accord de Paris développe tout son potentiel de transformation. La seconde est d’avoir une loi sur la biodiversité, qui passe en deuxième lecture à l’assemblée en mars, qui protège réellement le vivant.
Aujourd’hui, l’Europe n’arrive pas à gérer de manière solidaire l’arrivée des réfugiés syriens. Comment gérer les millions de réfugiés climatiques annoncés ?
Cela renvoie au lien entre sécurité et environnement. Une des causes du conflit syrien est qu’il y a eu 1 million de déplacés internes en Syrie entre 2006 et 2010 à cause d’une sécheresse historique. Ajouté à 1 million de déplacés irakiens, cela a fait exploser le pays. C’est comme si 3 millions de Français quittaient le Sud-Ouest inondé par la montée des eaux pour le Nord de la France ! Qui peut penser que cela n’aurait pas de conséquence sur la stabilité du pays ? Les causes environnementales des conflits sont souvent minorées. Le dérèglement climatique est un enjeu de civilisation. C’est pour cela que le GIEC a eu le prix Nobel de la paix. Parce qu’un monde à 3 ou 4 degrés de réchauffement est forcément un monde où c’est la guerre de tous contre tous. C’est pour cela qu’il faut agir maintenant et sortir des conflits politiciens stériles.
Propos recueillis par Anne Laffeter
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