“Jean-Claude était vraiment un jeune homme”Par Françoise Fabian “J’ai toujours beaucoup aimé Jean-Claude, l’homme et le cinéaste. C’était un être cultivé, d’une rare sensibilité. Il était brillant, généreux. Il n’y avait aucune médiocrité en lui. C’est pour toutes ces raisons qu’il me manque tellement. Il m’avait proposé de tourner dans “La Visiteuse”, un épisode du […]
« Jean-Claude était vraiment un jeune homme »
Par Françoise Fabian
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« J’ai toujours beaucoup aimé Jean-Claude, l’homme et le cinéaste. C’était un être cultivé, d’une rare sensibilité. Il était brillant, généreux. Il n’y avait aucune médiocrité en lui. C’est pour toutes ces raisons qu’il me manque tellement. Il m’avait proposé de tourner dans « La Visiteuse », un épisode du film collectif L’Archipel des amours. Il voulait utiliser une chanson de Patachou dont les droits étaient très élevés. Je la connaissais donc j’étais intervenue et je les avais présentés. Puis il avait trouvé ce très bel appartement donnant sur un jardin, mais son propriétaire ne voulait pas qu’on tourne chez lui. J’ai donc été chargée de le séduire pour le faire changer d’avis. On s’amusait beaucoup ensemble et ça a été le départ d’une grande amitié. Il m’appelait souvent, me disait « Allez Françoise, on va au cinéma ! Je descends, je suis là dans dix minutes. » On était amoureux des mêmes cinéastes et des mêmes films. Ensemble, nous avons revu tout Pasolini, dont on admirait l’univers. Je me souviens d’un soir où il m’avait emmené voir Salò. Je trouvais le
film tellement prémonitoire, tellement visionnaire, que j’étais bouleversée.Il avait dû me consoler toute la soirée. Il m’appelait sa « chérie », et en même temps on a toujours continué à se vouvoyer.
Ensuite, nous devions tourner ensemble, vers 1983, Le Mirage d’après Thomas Mann, mais il n’a obtenu les droits que dix ans plus tard et je n’ai pas pu le faire. Je pensais avoir dépassé l’âge du rôle et je craignais de ne pas être crédible, de ne pas parvenir à y croire moi-même. Entre-temps, quand même, nous avons tourné Faubourg-Saint-Martin (1986). Au départ, il n’y avait pas de rôle pour moi, mais il a ajouté ce personnage de femme très libre, appelée La Marquise. Je ne sais pas pourquoi il pensait à moi pour tous ses films ! Il était vraiment doué d’émerveillement. Lorsqu’il aimait une personne, elle devenait la plus belle, la plus merveilleuse, le meilleur copain… Il était tout le temps animé par une sorte de fraîcheur, de capacité à l’enthousiasme. Jean-Claude a toujours été, vraiment, un jeune homme.
Puis nous devions faire ensemble son dernier projet, Le Printemps du monde. C’était un film médiéval, une histoire d’amour et de chevalerie, avec une très grande importance de la nature, des paysages de Haute-Savoie près du lac Léman. J’aurais joué une mère qui attend le retour de ses fils partis aux premières Croisades. Je lui disais que le projet était peut-être un peu loin des préoccupations contemporaines, ce à quoi il répondait vivement « Mais c’est pour ça que je veux le faire ! » Il y avait en lui une grande pureté, une vraie modestie.
Au début de sa maladie, j’allais le voir souvent à l’hôpital Saint-Louis. Il était si triste de mourir. Il n’en revenait pas. Ça lui était tombé si brutalement dessus. Je l’exhortais à ne pas désespérer. Il souffrait d’avoir le sentiment de ne pas avoir accompli ce qu’il devait faire, de ne pas avoir eu de chance. Il avait obtenu l’avance sur recettes pour Le Printemps du monde et n’a pas eu le temps de le réaliser. Son dernier film (Métamorphose, 2004), est un court métrage réalisé de sa fenêtre à Thonon, filmé à toutes les heures du jour. C’est une pure merveille. C’est beau, vous n’imaginez pas ! Les bruits de la ville, le lac à toutes les heures et toutes les lumières, le son de cloches, les gens qui parlent… C’est un très beau film sur le temps. Il faudrait que ce film soit vu davantage.
Jean-Claude était mon ami et il me laisse un peu seule au bord du chemin. »
Propos recueillis par Jean-Marc Lalanne
« toujours prêt à aimer et à encourager »
Par François Ozon
Jean-Claude n’était pas pour moi un père de cinéma, mais plutôt un grand frère, généreux et protecteur. D’une génération aînée, peu portée à la transmission et au parrainage, il fut une exception par son soutien et ses encouragements fraternels à beaucoup de jeunes réalisateurs. Sa passion et son exigence pour le cinéma faisaient de lui l’un des derniers grands passeurs, avec Serge Daney et Jean Douchet. Quand je l’ai rencontré, une amitié évidente est née, franche et sincère, faite d’amour du cinéma, des actrices et d’un humour espiègle, qui cachait avec élégance ses blessures et cicatrices. Avec les années, sa difficulté à faire des films se muait en désarroi et incompréhension face au monde d’aujourd’hui, mais aucune amertume, toujours prêt à aimer et à encourager. Il savait d’une lettre, de quelques mots, vous apporter cette reconnaissance que chaque artiste recherche, ou bien vous envoyer une photo d’une actrice qu’il aimait et dont il vantait l’intelligence et la beauté, dans l’espoir qu’on la fasse tourner. Son renoncement ces derniers mois, face à la maladie était à l’opposé de ce que j’avais cru saisir en lui pendant ces quelques années d’amitié. La mort le hantait, planait sur tous ses films, et j’ose croire qu’il est parti, sans peur, apaisé.
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