Omniprésent sans être au centre de l’attention, le téléphone portable est un personnage à part entière de la nouvelle série de Netflix, sorte de boîte de Pandore électronique qui matérialise les troubles, angoisses et hésitations des deux héros.
[Cet article contient des spoilers sur la première saison de Love]
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Six lettres et deux emojis. Dans le portable de Gus, Mickey inscrit son prénom, suivi d’un tigre et un petit fantôme. Les deux trentenaires, qui ne se connaissaient pas en début de journée, viennent de passer un épisode à enchaîner les joints dans une voiture aux vitres fermées et les blagues débiles sur le parking d’une chaîne de fast-food. Mais c’est avec ces huit caractères, en fixant un nom à côté d’un numéro, que la série Love débute vraiment. S’en suivront huit épisodes d’errances et d’hésitations, de malentendus et d’actes manqués, tous incarnés par des échanges de SMS froids et distants, qui font office de fil conducteur tacite à cette histoire d’amour 2.0.
Le troisième épisode de la série dépeint parfaitement le décalage entre l’émetteur et le récepteur : alors que Mickey doit gérer son boss au travail et jette à peine un oeil au message que Gus lui a envoyé, ce dernier passe la journée suspendu à son téléphone, dans l’attente désespérée de recevoir une réponse à son « quoi de neuf? » de début de matinée. En voyant le trentenaire sursauter à chaque vibration, on se prend à partager ses angoisses. D’abord lorsqu’il empoigne gauchement son portable, puis quand il déchante en constatant qu’il ne s’agit que de l’énième texto d’un ami.
Dans Love, le smartphone a tout de la boîte de Pandore électronique : source de tous les maux, elle est pourtant la seule à pouvoir apporter la preuve d’un signe de vie de l’être convoité. Alors, on attend. On trépigne. On s’agace.
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Là où dans Master of None, Aziz Ansari prend le temps de décortiquer à voix haute le rôle central des nouvelles technologie dans la drague au XXIe siècle, Love se veut beaucoup moins didactique. Les personnages ne remettent pas en cause le statu quo, ils acceptent le « jeu » auquel il faut jouer lorsque l’on vient de rencontrer quelqu’un ; l’indifférence feinte, la dizaine d’ébauches de messages qui ne seront jamais envoyés, l’incompréhension et la mythification de l’autre.
Le ghosting pour éviter la confrontation
Tour à tour, les deux héros vont endosser le rôle du rejeteur et du rejeté. Parce qu’il n’y a ni bon ni méchant, dans ce jeu de séduction contemporain. Chacun est, quasi fatalement, obligé de faire subir à l’autre ce qu’il a détesté endurer. Gus souffre de la distance de Mickey, jusqu’à ce qu’elle ne réfléchisse son enthousiasme, et que ses messages ne sonnent soudain comme une oppression, que le nom qui s’affiche sur l’écran du téléphone ne fasse plus battre son coeur de jubilation mais d’embarras. Jusqu’à ce que la solution, radicale, glaciale, ne s’impose à lui. Son pouce appuie sur les six lettres suivies de l’emoji tigre suivi de l’emoji fantôme, puis sur « effacer ». Mickey n’existe plus.
Comme toutes les nouvelles pratiques des « jeunes gens connectés », celle-ci a un nom : le ghosting, ou l’art d’ignorer l’autre pour éviter la confrontation. Est-il seulement un marqueur de lâcheté, ou permet-il aux indécis d’éviter de prendre une décision trop radicale et de laisser, finalement, la porte ouverte à de nouveaux rebondissements ? Est-il la pire marque d’irrespect, ou un symptôme inévitable du quotidien des jeunes urbains rongés par la peur de louper quelque chose (alias FOMO pour les plus modernes) ? Le sixième épisode de la série, entièrement constitué de messages non reçus et de rendez-vous avortés, ignorés, repoussés, est en cela magnifique et terriblement angoissant. Comme si le téléphone, loin d’être l’outil de communication censé faciliter et nourrir les prémices d’une rencontre, s’était imposé comme un obstacle supplémentaire au développement des sentiments amoureux.
C’est au contraire lorsque les personnages de Love se confrontent l’un à l’autre, les yeux dans les yeux, que la situation se débloque. D’abord quand Gus, excédé, lâche à Mickey qu’il lui en veut d’avoir essayé de le caser avec sa colocataire. Puis plus tard, quand Mickey le poursuit dans la supérette où il se sont rencontrés pour la première fois, et lui confie en détails ses peurs et ses addictions. Contact humain : 1, iPhone : 0.
Marie Turcan
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