Pour la sortie de son troisième album, le réussi Monsters & Silly Songs, l’électronicien français Joakim a bien voulu répondre à nos questions. En prime, un titre de son album et un mix en écoute.
A trente ans, Joakim ne se contente pas d’être le boss du label bienfaiteur Tigersushi (terre d’accueil parisienne de Poni Hoax, Panico, K.I.M, Aswefall), de remixer la terre entière (Tiga, Tiefschwartz, Fisherspooner, Air), ou d’ensorceler les clubs planétaires. Il sort également son troisième disque Monsters and Silly Songs, un concept-album électro-rock qui gravite bien au-delà de la hype. Rencontre avec un être lunaire et contemplatif dont la modestie n’a d’égale que son génie.
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Pour agrémenter l’interview, lesinrocks.com vous propose d’écouter un titre de l’album de Joakim, Lonely hearts, et un mix réalisé par Joakim himself.
A quoi correspond ton nouvel album Monsters & Silly Songs ?
A du temps qui passe, en fait. Je l’ai composé sur une assez longue période. Plus d’un an et demi J’ai déménagé en cours de route dans un appartement à Ménilmontant où j’ai installé mon propre home studio, ce qui m a permis d’y enregistrer pas mal de morceaux seul devant mes machines ou en formation live avec le groupe Ectoplasmic Band : Marc Kerr (batterie), Juan de Gullebon (basse), Maxime Delpierre (guitare), Nicolas, le chanteur de Poni Hoax et Guillaume Teyssier de Sister Klaus (une future signature de son label Tigersushi).
D’habitude, tu travailles tout seul. Etait-ce difficile d’enregistrer avec l’Ectoplasmic Band ?
Je suis capable de faire confiance aux gens, mais j’ai tendance à être un peu « control freak ». C’est dû à mon histoire car j’ai tout appris tout seul : faire de la musique, créer un site Internet, puis un label, créer l’artwork de mes pochettes de disques’ Mais petit à petit, je commence à m assouplir là-dessus et je me rends compte que le fait de collaborer avec les autres est hyper enrichissant
Mais le groupe a-t-il eu son mot à dire ?
Bien sûr ! Souvent les groupes attendent que tu leur serves la soupe, mais eux, ils comprennent tout de suite. Nous sommes très proches du point de vue des références musicales. Ils ne commettent jamais de fautes de goût, ce qui peut arriver avec certains. Là, ça n’arrive jamais.
L’accouchement de Monsters & Silly Songs a-t-il été difficile ?
Non, l’aspect ludique est une condition sine qua none pour faire de la musique. C’est un besoin essentiel. Malheureusement, j’ai perdu l’intégralité de mon disque dur en cours de route et il a donc fallu tout recommencer. Sur le moment, ça a été super difficile, j’étais vraiment abattu durant quelques jours. Mais par chance, j’avais confié deux ou trois morceaux en maquette à Gilb r, dont j’ai pu me réinspirer.
Que représente ce nouvel album par rapport à tes précédents disques Tigersushi (1999) et Fantômes (2003) ?
Cette fois-ci, j’avais envie d’explorer les méthodes d’enregistrement traditionnelles. J’ai davantage utilisé d’instruments que j’ai tenté de réintégrer dans un ensemble électronique, même si ce mot ne signifie plus grand-chose à mes yeux Disons qu’à chaque disque, je suis curieux d’apprendre de nouvelles techniques de studio, d’utiliser de nouvelles machines.
A l’époque de Tigersushi, mon premier album signé par Gilb r chez Versatile, c’était l’usage de samples qui donnait cet air jazz sixties. Mais je le considère moins comme un premier album que comme un exercice de style électro-jazz. Je ne le renie pas, mais il est bourré de défauts’
Lors de la composition de Fantômes, je me suis plongé à fond dans la musique électronique notamment dans le Rest d’Isolée et j’ai utilisé beaucoup de synthés. Aujourd’hui, j’écoute davantage de musique instrumentale.
Finalement avec Monsters & Silly Songs, ce qui m’enthousiasme, c’est plutôt le rock, des trucs de metal, d’ambient, de noise, du krautrock comme Can, Faust, Neu !, et plein de trucs connexes tels Animal Colective ou Liars. Sinon, j’adore écouter des drones. En fait, j’adore les trucs contemplatifs, c’est pour ça que j’écoute des drones. Le principe du drone, c’est de lâcher le contrôle, même s’il ne se passe fondamentalement rien. Ca me fait du bien’
Que signifie le titre « Monsters & Silly Songs » ?
Il y a deux choses qui me passionnent en musique. Primo, son côté très brut qui peut s’exprimer par le bruit et qui est, d’une certaine façon, sa manifestation la plus physique. Secondo, il y a les chansons, les pures chansons, pas forcément tristes, comme du Burt Bacharach, mais parfaitement faites. Ce sont des chansons qui font du bien parce qu’elles sont tristes. En fait, j’aimerais bien savoir faire des vraies chansons. (rires). D’où le titre de l’album
Les monstres, c’est qui ? C’est toi ? Les autres ?
Non, je suis juste captivé par la monstruosité des monstres. Je pense qu’ils existent pour rassurer les gens et ont fonction d’exorcisation de la peur dans l’inconscient collectif. Les monstres, c’est aussi un art de communiquer les choses que tu ne peux pas forcément véhiculer par la parole, une extériorisation de l’inconscient.
Ton nouvel album est à la fois disparate et cohérent : garni de chansons électro-pop souvent gaies et de délires expérimentaux assez sombres ? Est-il le miroir de ton âme ?
Je ne pense pas être quelqu’un de cyclothymique. Angoissé, nerveux, peut-être. J’essaie de faire feu de tout bois. Je ne me pose pas la question de ce que je dois utiliser comme influences et pourquoi. Mon travail est beaucoup plus intuitif que réfléchi. Le côté réfléchi vient toujours a posteriori. Par exemple, le concept des Monsters (des pièces expérimentales faîtes de bruit blanc et de distorsions, qui s’intercalent entre d’autres titres plus classiques), est venu après le reste. Comme le ciment entre les morceaux. Le disque n’avait pas forcément un sens au moment où je l’ai créé et ce n’est qu’à la fin que l’ensemble a commencé à se former.
Pour toi qui étais jadis seul sur scène derrière tes machines, ce n’est pas trop difficile de jouer avec un groupe ?
Je n’arrive pas encore à amener le live où je voudrais qu’il aille exactement. Déjà, quand je chante, je suis bloqué par une table avec tous ces ordinateurs’
C’est pour cette raison que j’admire Jamie Lidell : il joue avec un laptop sans être jamais coincé par lui. Il a un système de contrôleur qui lui permet d’être dans la musique et pas dans la paperasse. Combiner machines électroniques et live, ce n’est pas évident. Il y a un truc à trouver
Quels sont tes premiers émois musicaux ?
Mes parents écoutaient plutôt du classique, mais ma mère était une grande fan de Stones. Sinon, quand j’avais six ans, j’adorais Born in the USA de Springsteen et aussi Johnny Cash. On avait aussi une cassette de Paul Young dans la voiture et je l’ai écouté pas mal de fois. Cela me rappelle un tout : la musique, la route qui défile derrière les vitres dans le Sud, il fait beau. C’est kitsch. Johnny Cash est resté, mais aussi Bruce Springsteen, enfin l’album Nebraska seulement Mais j’écoutais surtout de la musique classique, parce que j’en jouais au piano.
Ta formation musicale a commencé par le classique, donc’
J’ai habité à Paris jusqu’à l’âge de cinq ans, puis mes parents ont déménagé à 40 km de Paris dans les Yvelines à Goupillère, le village du goupil à côté de Touari. C’est là que j’ai appris le piano avec mon un prof complètement fou et hyper enthousiaste qui me faisait jouer des trucs injouables pour mon âge, comme les Nocturnes de Chopin. Puis quelques années plus tard, ma mère a lu l’annonce d’un type chez le boucher qui disait : « je donne des cours de piano, premier prix du conservatoire, etc ». Je suis donc allé voir ce nouveau prof qui s’appelle Abdel Rahman El Bacha et qui est en fait était un concertiste libanais super balèze. Il m a dit que c’était n’importe quoi, qu’il fallait que je reprenne tout à la base et que j’arrête de jouer des trucs aussi difficiles. Donc j’ai tout réappris, énormément d’études de Bach à l’appui. Il était d’une méticulosité et d’une exigence extrême mais il était très doux. Enfin il faisait preuve d’une certaine autorité calme qu’on n’a pas vraiment envie de contredire. C’est lui qui m a inscrit au Conservatoire. J’y ai étudié pendant plusieurs années et après, ça a été la dégénérescence. A l’âge de 20 ans, je suis arrivé à un niveau où il fallait faire des choix : soit travailler vraiment sérieusement (ce que je n’ai jamais vraiment fait), soit arrêter. Je ne désirais pas passer ma vie à passer des concours d’excellence, car j’étais un peu fumiste, du moins, pas assez solide pour amortir le stress insupportable des auditions et des concerts. Etre concertiste, c’est plus qu’un métier, c’est un sacerdoce.
A part le classique, quelles sont les musiques qui ont bercé son adolescence ?
Vers l’âge de 14 ans, j’ai découvert le rock de jeunes avec Led Zeppelin ou Jimi Hendrix (rires). Puis du rock indé comme Pavement, Sonic Youth, les Pixies, mais jamais Nirvana. J’étais anti-Nirvana. Ca m énervait que tout le monde écoute ça, ce culte de la personnalité? J’étais totalement rétif à tout mouvement de masse. Aujourd’hui, a posteriori, je trouve ça vraiment balèze.
Et la musique électronique dans tout ça ?
Bizarrement, c’est en Prépa HEC, grâce à un numéro spécial de Rock & Folk répertoriant les 100 meilleurs disques de tous les temps, que j’ai commencé à m y intéresser. Je connaissais déjà quelques disques de Mo Wax et là, j’ai découvert la house. Je pensais que c’était un truc de nazes. Au collège, j’avais des copains qui écoutaient de l’acid house et à l’époque c’était perçu comme une musique complètement débile du genre la danse des canards. Motorbass y était notamment considéré comme un disque essentiel et je dois dire qu’il m a ouvert d’incroyables perceptions. Je me souviens de l’avoir écouté un lendemain de fête avec la gueule de bois, dans mon lit et il m a mis complètement en transe. Après ça, j’ai acheté des tonnes de discs, des tonnes de vinyles’
Tu as fait HEC ? Pourquoi ?
Ca ne m intéressait pas du tout, or je ne voulais pas finir comme employé de bureau. En fait, je souhaitais soit être astrophysicien pour le côté mystique, mais c’était vraiment trop long comme études, soit gagner plein de fric pour arrêter de travailler. Je voulais surtout être libre de faire ce que je voulais’
Peux-tu raconter comment tu as créé Tigersushi après ton diplôme ?
C’est avec Charles Haglesteen, un pote de promo, qu’on a fondé Tigersushi. Ce qui prouve à quel point, on avait bien appris nos leçons de commerce car on était conscient que ce projet ne nous rapporterait aucun argent. Avant de devenir un label, c’était çà la base une espèce d’encyclopédie média et radio qui utilisait tous les aspects d’internet pour amener les gens à découvrir de la musique en créant des passerelles. Ca nous a pris énormément de temps à monter, c’était hyper compliqué, hyper ambitieux comme projet. On enregistrait les disques à la main, on scannait les pochettes, on écrivait des chroniques par centaines, par milliers. C’était une usine à gaz pas possible. Du coup, quand le truc a commencé à exister on s’est demandé comment faire pour que les gens sachent que ça existe Et là on s’est dit qu’on pouvait faire des compilations mêlant nouveautés et oldies avec l’adresse du site notée dessus et que les gens iraient peut-être sur notre site. Ce qui est un peu le raisonnement à l’envers’Très vite, on a eu énormément de visites car on a eu la chance d’être super bien référencés sur Google. Les visites ont augmenté de façon exponentielle : on en était à 200.000 visites par mois, ce qui est énorme, surtout des Etats-Unis, de l’Angleterre et d’Allemagne (en France, ça ne représentait que 10%). Même la radio marchait super bien, mais le problème c’est que ça rapportait zéro et que ça coûtait bonbon.
Tigersushi est-elle une entreprise rentable ?
Non. Ca peut l’être. Mais on a fait pas mal de conneries, on a grandi un peu trop vite, au lieu de parfois laisser les choses se faire naturellement. J’ai compris qu’il fallait garder les pieds sur terre. On a mis la charrue avant les bœufs. Nous n’avons pas utilisé les systèmes de subventions, ni exploité le fait qu’on était éditeurs. Aujourd’hui, on a signé des groupes comme Panico ou Poni Hoax et ça se met doucement en place
Quel est ton rêve aujourd’hui ?
Un cauchemar ? (rires). J’ai du mal à faire des confidences aussi personnelles. Disons que je suis tellement dans les contingences et le concret en ce moment que j’ai du mal à me projeter au-delà des vingt milliards de trucs dans les mois à venir (des enregistrements avec Poni Hoax et Panico, la sortie de Monsters & Silly Songs, des concerts, la gérance de Tigersushi ). Je n’arrive pas trop à rêver en ce moment.
– www.tigersushi.com
– www.myspace.com/jimibazzouka
Avec l’aimable autorisation de Versatile
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