À Berlin, l’agence de voyage « go2know » propose des visites guidées de friches industrielles et de bâtiments abandonnés aux amateurs de ruin porn, comme on surnomme les mordus de photographie de vestiges urbains. Les ruines de la capitale allemande qui valent le détour étant désormais de plus en plus hantées par des vigiles, ces visites représentent […]
À Berlin, l’agence de voyage « go2know » propose des visites guidées de friches industrielles et de bâtiments abandonnés aux amateurs de ruin porn, comme on surnomme les mordus de photographie de vestiges urbains. Les ruines de la capitale allemande qui valent le détour étant désormais de plus en plus hantées par des vigiles, ces visites représentent parfois l’unique chance de pouvoir encore s’y aventurer.
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Les chiens sont lâchés. À peine franchie la clôture qu’une horde d’aboiements fonce sur le groupe. Mais la présence du gardien des lieux au côté de Michael, le guide de l’expédition, suffit à calmer la meute, et sans doute à conforter dans leur choix la dizaine de visiteurs qui ce matin-là ont préféré débourser 40 euros pour explorer ce qui fut autrefois une usine de viande sans crainte d’y laisser quelques morceaux de leur propre chair ou de finir au poste de police de Lichtenberg.
Après avoir donné quelques indications sur l’histoire de cette usine de Berlin-Est qui n’a pas survécu à la Réunification des deux Allemagnes et rappelé quelques règles de sécurité essentielles pour qui s’amuse à zoner dans des bâtiments aux fenêtres éventrées et jonchés de débris divers, le guide donne quartier libre aux visiteurs, qui ont cinq heures devant eux pour arpenter les lieux et s’adonner à leur passion : saisir le troublant spectacle de ces majestueux intérieurs voués à la décrépitude et au chaos laissé par les vandales, cataloguer les dernières traces du passé des lieux ou les peintures murales qui les transforment peu à peu en musée de street art.
« Documenter le délabrement »
Armés d’appareils photo, de tripodes et de lampes de poche, certains s’aventurent sur les passerelles rouillées perchées au-dessus de l’immense hachoir à saucisses de l’usine, tandis que d’autres s’enfoncent dans les entrailles du bâtiment pour visiter la chaufferie, s’introduisent dans les bureaux débordants de paperasse jaunie ou dans les fours, qui vingt ans après leur extinction continuent toujours d’exhaler un fumet de sciure de bois. Parmi eux, Robert, un commerçant viennois mordu de ruin porn venu spécialement pour cette visite. À quelques mètres, Grit commence à prendre quelques photos. Médecin la semaine, elle aime partir explorer les friches autour de Berlin le week-end : « J’aime documenter le délabrement, ça a quelque chose de morbide qui m’attire. » Elle aime le frisson que procurent les virées illégales, mais apprécie le confort des visites proposées par « go2know » : « C’est un motif photographique intéressant, qui permet de travailler sur l’ombre et la lumière, mais aussi sur les couleurs. »
Fondée en 2010 par Andreas Böttger et Thilo Wiebers, deux trentenaires berlinois mordus de photographie et de friches, cette agence de voyage alternative propose une dizaine de destinations au centre et dans la banlieue de Berlin, comme une ancienne prison, un sanatorium pour enfants abandonné, une clinique où les S.S. se faisaient soigner ou des bâtiments militaires désaffectés, comme l’ancienne station d’écoutes de la NSA.
Au sommet d’un des vestiges les plus saisissants de la guerre froide
Perchée sur le Teufelsberg, une colline artificielle édifiée à la fin de la Seconde guerre mondiale au cœur de la forêt de Grunewald, sur les fondations d’une université que projetait de bâtir Hitler, cette base militaire secrète est un des vestiges les plus saisissants de la guerre froide. Il y a quelques années encore, il était très facile d’y entrer, grâce aux innombrables trous entaillés dans le double grillage qui entourait la base américaine. Racheté par un investisseur qui prévoit d’y construire des logements, le terrain est désormais surveillé en permanence, et la clôture, infranchissable, à moins d’avoir une pince-monseigneur sous la main. Alors que les visites légales proposées sur place depuis quelques années durent en général à peine une heure, celle de go2know permet d’arpenter les lieux durant trois heures.
« Nous ne voulons pas gommer la part d’aventure, l’intensité qu’il y a à pénétrer dans ces lieux, c’est pour cela que nous ne proposons pas de visites guidées, de manière à ce que les gens puissent aller où ils veulent et s’imprégner de l’atmosphère du lieu », explique Andreas Böttger. Lui et son associé se sont connus sur les bancs de l’école et ont commencé dès l’adolescence à escalader les clôtures pour tenter d’assouvir leur soif d’aventure : « Nous avons visité plusieurs centaines de lieux, et nous avons depuis recensé plus de 2.500 bâtiments à travers l’Allemagne dans lesquels nous souhaiterions aller. » Avec beaucoup de patience et de diplomatie, ils ont réussi peu à peu à convaincre les propriétaires de ces lieux berlinois abandonnés de sécuriser leurs bâtiments et d’en autoriser la visite en échange d’une rétribution financière, ce qui explique le prix relativement élevé des visites.
En haut de la plus haute des tours de la station d’écoutes du Teufelsberg, dont les bâches déchiquetées s’agitent dans un fracas d’enfer, donnant l’impression de se trouver au milieu d’une tempête en haute mer, on profite d’une vue sublime sur Berlin. Les yeux rivés sur l’horizon, Jörg, un journaliste de télévision berlinois passionné de « lost places », se réjouit déjà des photos qu’il pourra mettre en ligne sur son site personnel, en toute légalité, et se met à disserter sur la solitude de ces endroits. Au loin, la silhouette du Fernsehturm se découpe dans le ciel sombre. On est bien là, aux antipodes du tourisme de masse. .
Annabelle Georgen
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