L’exposition Archimode décrypte les relations complexes et exigeantes entre architecture et mode. Être singulier tout en suscitant le désir auprès du plus grand nombre, telle est l’ambition schizophrénique de la mode. Face à une industrie ultra compétitive, chaque décision est lourdement pesée. Ces choix stratégiques ne s’appliquent plus uniquement aux vêtements, mais bien à l’ensemble […]
L’exposition Archimode décrypte les relations complexes et exigeantes entre architecture et mode.
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Être singulier tout en suscitant le désir auprès du plus grand nombre, telle est l’ambition schizophrénique de la mode. Face à une industrie ultra compétitive, chaque décision est lourdement pesée. Ces choix stratégiques ne s’appliquent plus uniquement aux vêtements, mais bien à l’ensemble de l’image de la marque : des campagnes publicitaires jusqu’à l’architecture des boutiques. Et si les publicités se renouvellent et se contredisent saison après saison, jouant habilement de cette chronologie amnésique, les édifices, eux, sont là pour durer. Les enjeux pour l’architecture de mode sont donc multiples : économique, médiatique, artistique. Autant de paramètres difficiles à concilier qui produisent des combinaisons parfois étonnantes, comme l’expose jusqu’au 23 mars la Villa Noailles, à travers six exemples.
Dans une scénographie signée par le duo d’architectes Lucas Biberson et Guillaume Henry, maquettes, matériaux et plans nous présentent trois boutiques (celles d’Isabel Marant et de Kris Van Assche, du collectif Ciguë, celle de Damir Doma par le studio Diplomates), une tour (le building new-yorkais LVMH abritant bureaux et un magasin Dior au rez-de-chaussée, signé par l’Atelier Christian de Portzamparc) ainsi que deux espaces culturels (le Mobile Art de Chanel par Zaha Hadid et le Prada Transformer par l’Office for Metropolitan Architecture de Rem Koolhaas).
Si cette sélection révèle des constructions aux échelles variées, reflet des puissances économiques des marques qu’elles abritent, elle donne également à voir la philosophie de ces maisons. Là où certaines griffes dupliquent leur architecture intérieure pour imposer une signature et rassurer le consommateur, clonant les boutiques à l’infini, Isabel Marant pense chaque nouvel espace comme un projet indépendant.
Composé de six architectes, le collectif Ciguë a travaillé sur plusieurs boutiques de la créatrice. Ainsi celle de Tokyo réaménage une maison des années 70, réinterprétant les codes domestiques japonais. Au-delà d’un patrimoine architectural, l’appréhension de cet espace, par ses volumes, son sens de circulation, son rapport à la végétation, cultive une sensibilité propre à la culture nippone.
Si la femme Isabel Marant se réincarne sur chaque continent, la femme Chanel reste quant à elle une Parisienne, où qu’elle soit. Une Parisienne qui voyage, jusque dans l’espace, à l’image de la campagne automne-hiver 2013, mettant en scène les mannequins en apesanteur dans leur tailleur de tweed.
Quoi de plus logique donc de penser à un vaisseau spatial pour abriter la culture Chanel ? Lignes organiques, matériaux techniques amalgamant sol, mur et toiture, le Mobile Art de Zaha Hadid est une entité indépendante mobile, qui a fait escale dans plusieurs mégalopoles, avant de terminer son voyage à Paris, sur le parvis de l’Institut du monde arabe.
Lui aussi itinérant, le Prada Transformer de Koolhaas est une structure capable d’accueillir une exposition d’art ou de mode, une projection de films, ou encore un défilé. Quatre types d’événements qui se déclinent sur les faces de cette forme résolument hybride, prête à basculer sur elle-même pour s’adapter à son contenu. Une approche flexible, en constante mutation, à l’image du processus créatif de Miuccia Prada.
Les noms de Hadid et Koolhaas, deux poids lourds de l’architecture, ont évidemment offert une couverture médiatique non négligeable à leur luxueux client. A ce titre, Luca Marchetti, en charge de séminaires consacrés au retail design à l’Institut français de la mode et professeur chercheur à la HEAD-Genève, nuance : « l’impact médiatique des archistars n’est pas négligeable, pour autant, l’enjeu pour les marques est ailleurs : il s’agit d’incarner spatialement une série d’éléments complexes car intangibles. Historiquement, l’évolution de l’espace de marque s’est faite en trois étapes. L’apparition de la haute couture a fait émerger l’espace écrin, dont le but était de sublimer le produit. Ensuite, à l’époque du tout-image, amorcé dans les années 50, il a fallu le théâtraliser de manière visuelle. Aujourd’hui, à l’époque de l’overdose de signes, l’accent n’est plus mis sur le produit et l’image, mais sur l’expérience. L’architecture de mode est une machine expérientielle faite de décalage, d’émotionnel, d’affectivité ». Récemment identifié, ce nouveau challenge, que peu ont réussi à relever jusqu’à maintenant, promet des aventures architecturales passionnantes.
Par Victor Bonmartin
Archimode, jusqu’au 23 mars 2015, Villa Noailles, Hyères.
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