“Touriste en Crocs”, gare à toi. Le journaliste Nicolas Santolaria dresse l’inventaire des dangers insoupçonnés des hauts lieux de villégiature français, dans un guide touristique à l’allure d’hécatombe. Entretien sur le livre Touriste, regarde où tu poses tes tongs avec l’auteur, plume du magazine GQ passé par Libération et Technikart. Comment avez-vous eu l’idée de ce livre ? […]
« Touriste en Crocs », gare à toi. Le journaliste Nicolas Santolaria dresse l’inventaire des dangers insoupçonnés des hauts lieux de villégiature français, dans un guide touristique à l’allure d’hécatombe. Entretien sur le livre Touriste, regarde où tu poses tes tongs avec l’auteur, plume du magazine GQ passé par Libération et Technikart.
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Comment avez-vous eu l’idée de ce livre ?
J’ai réalisé qu’il y avait un fort contraste dans certains lieux, notamment les plus prisés, entre les décors de carte postale et la réalité sanitaire du territoire, toxique à divers degrés. Ce constat est parti de cas très concrets. Par exemple, mes parents habitent à Bourges, ville médiévale avec une cathédrale classée au patrimoine mondial de l’Unesco. Mais à côté se trouve le champ de tir d’une usine d’armement, qui fait des tests de munitions anti-char à l’uranium appauvri en pleine nature. Donc bien que ce soit un lieu très bucolique, il y a des menaces de radioactivité, ce type d’expérimentation en plein air pouvant conduire à des malformations graves pour les enfants, des cas de leucémie et j’en passe.
De manière plus générale, le tourisme constitue un moment particulier dans la vie du citadin : après avoir respiré des particules fines toute l’année à Paris, on a soudain le sentiment que tous les risques disparaissent comme par magie, simplement parce qu’on débarque dans un décor de carte postale ! Or c’est totalement faux.
On pourrait donc dire que vous avez été guidé par des préoccupations sanitaire et écologique, pour alarmer face au danger ?
Oui, mais attention, ce n’est pas un guide des endroits où ne pas aller. Je commence toujours par décrire le cadre du lieu et énumérer les raisons d’y partir. C’est après cette partie positive que vient celle sur les dangers encourus : des bombes de la Première guerre mondiale dans les lacs aux vallées amiantées, en passant par les reliquats nucléaires, les pesticides et les espèces invasives, du moustique-tigre aux nouvelles méduses. C’est en finissant le livre que je me suis dit : « Tiens, où partir en vacances maintenant? » (rires).
Justement, traiter de ces dangers à partir de la thématique légère des vacances, c’est un paradoxe assumé ?
Disons que c’est une façon différente de parler de l’environnement. L’idée, c’était de mixer ce sujet lourd avec un côté plus trivial, les vacances, pour que les gens s’y intéressent. Car les livres traditionnels sur l’écologie ont malheureusement tendance à faire fuir le lecteur. Ils se sentent peut-être plus concernés quand c’est quelque chose qui les touche de près, à savoir le moment où ils vont arrêter de bosser, enfiler leur pantacourt et aller boire du rosé sur la plage!
Mais les dangers que vous abordez menacent bien plus les résidents permanents de ces zones que les touristes au séjour éphémère…
Bien sûr, et d’ailleurs il y a un certain conflit entre les intérêts économiques issus du tourisme qui incitent à une forme d’omerta sur l’état de dévastation de l’environnement et les enjeux de santé publique pour les résidents. Bien souvent, on préfère cacher la pollution sous le tapis. Mais pour améliorer les choses, il faut en parler, donner de la visibilité aux problèmes.
Mon but n’est pas de stigmatiser ces zones, mais de contribuer à les faire évoluer vers un tourisme plus responsable, une façon d’envisager les choses de manière plus globale, sur la durée et non pas comme un simple déclinaison estivale de l’hyper-consumérisme.
C’est aussi pour cela que j’ai compilé tous ces dangers dans le livre. Les gens sont de plus en plus malades aujourd’hui, on développe des cancers comme si on attrapait des rhumes : malheureusement, on n’entend parler des études sur les effets de la pollution que par-ci par-là, de façon éparse. Moi, je voulais mettre tous ces éléments bout à bout pour créer un effet de sidération, et inciter à mon petit niveau à une prise de conscience.
Pour terminer, pourriez-vous nous donner un top 5 des lieux de vacances dans lesquels vous ne remettrez jamais les pieds ?
Difficile de choisir ! Je dirais…
– A Menton car la dernière fois que j’y suis allé, j’ai été choqué par l’omniprésence des méduses dans la mer. Un gros bateau de la municipalité était chargé de les ramasser un peu comme on ramasse les cannettes de bière sur la Bassin de la Villette après le week-end, il y en avait des pleins filets ! J’évoque aussi les moustiques-tigres dans le livre, qui font désormais rage dans la région. Mais c’est un beau coin, et rien ne dit que je n’y retournerais pas. D’ailleurs, il existe désormais une crème anti-méduses dont les baigneurs peuvent se tartiner.
– Sur la Côte d’Azur, qui est en fait un échangeur autoroutier géant. Le mix entre chaleur assommante et bouchons sans fin, pour arriver dans des endroits surpeuplés où le panini est au prix de la côte de boeuf, je trouve que c’est le summum du masochisme touristique (rires).
– Dans les Vosges, où se multiplient des tiques porteuses d’une bactérie, la borrélie, qui transmet la maladie de Lyme. Très dangereuse, elle recouvre beaucoup de symptômes, qui vont des problèmes d’articulation à la cécité. Et cette menace est malheureusement généralisée à tous les massifs montagneux. Tu te dis : « Tiens c’est génial, l’été arrive, je vais aller me balader dans la nature », mais finalement il vaut mieux rester à ta terrasse de café en plein centre ville !
– La façade atlantique sur laquelle s’échouent les physalies, qui ressemblent à de nouvelles « super méduses ». On dirait des envahisseurs de Mars attack : elles sont violacées et ont des filaments qui peuvent faire jusqu’à 50 mètres de long. Les gens s’enroulent là-dedans comme dans des guirlandes électriques et sont électrocutés, ce qui cause à certains des chocs anaphylactiques dont on peut mourir. On nous présente ces zones comme des lieux où il y a de forts risques de noyade en raison des baïnes, mais c’est réducteur. Vous pouvez aussi croiser la route d’un Taser flottant.
– Et enfin à Biarritz, où je suis pourtant souvent allé. La ville de l’impératrice Eugénie est magnifique avec son côté très chic basque, et la grande plage est géniale. Mais les égouts y sont directement déversés, parce que le système d’évacuation des eaux est très vétuste. Donc les gens se baignent dans leurs déchets, ce qui crée beaucoup de problèmes ORL comme des otites. Une signalétique particulière a même été mise en place, avec un drapeau mauve pour indiquer un prochain déversement sur la plage ! Je conseille donc d’y aller encore, mais de préférer une virée au Casino au moment des lâchers.
Touriste, regarde où tu poses tes tongs de Nicolas Santolaria (éditions Allary), 228 pages, 17,90 euros.
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