24 000 visiteurs, 7 services à assurer, entre 900 et 1200 mini-plats gastronomiques à envoyer par service, le minimum syndical pour cuisiner sur place… Les chefs du Festival Taste of Paris, qui s’est déroulé ce week-end sous la nef du Grand Palais, nous racontent l’envers du décor. Avec beaucoup de stress mais aussi pas mal d’humour. […]
24 000 visiteurs, 7 services à assurer, entre 900 et 1200 mini-plats gastronomiques à envoyer par service, le minimum syndical pour cuisiner sur place… Les chefs du Festival Taste of Paris, qui s’est déroulé ce week-end sous la nef du Grand Palais, nous racontent l’envers du décor. Avec beaucoup de stress mais aussi pas mal d’humour.
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Difficile de faire un tartare d’huîtres sans huitres. Samedi, 11h 45, à un quart d’heure du début de son show sur le Théâtre des chefs, Rafael Gomes, à la tête du restaurant Grand Cœur (Paris IV) s’aperçoit qu’il dispose de tous ses ingrédients sauf des huîtres, qu’il a oubliées dans sa cuisine du Haut Marais. Deuxième contretemps de la journée, pendant le service du soir, son congélateur tombe en panne et le jeune brésilien regarde ses sorbets – partie essentielle de son dessert – monter à 13°C. Pour l’un des plats « saint-jacques sarrasin », l’équipe du Lucas Carton confesse avoir décortiqué 2400 saint-jacques en 2 jours puis confectionné 3000 galettes de sarrasin. « Je dis 3000 mais pour l’instant nous n’en avons que 2000 puisque le transporteur vient de briser une plaque de 1000 en chemin. Le service du soir commence dans une heure », raconte le chef Julien Dumas, avec un sourire mi-détendu mi-dépité.
Pour autant, quels que soient l’ampleur et/ou la gravité des problèmes en coulisses, chacun s’en tire à merveille. Les festivaliers n’y voient que du feu. Quand Rafael Gomes dégote à la dernière minute chez un producteur d’huîtres à l’autre bout du Grand Palais quelques bourriches pour son fameux tartare de la mer, l’équipe du Lucas Carton met la main à la pâte en urgence pour refaire les 1000 galettes perdues en route et Thibault Sombardier (chef d’Antoine, Paris XVI) se fait livrer 5 litres de bouillon de lard et truffe noire, cuisinés en urgence par sa brigade au restaurant.
Classic shit
Malgré une préparation quasi-militaire en amont, même les plus grands se laissent parfois dépasser par les événements. « On est victimes de notre succès » soupire le chef du Pré Catelan, Frédéric Anton, totalement aphone. « A partir de maintenant c’est-à-dire 17 h, nous avons une heure top chrono pour dénicher 150 bottes de basilic frais si l’on veut pouvoir refaire correctement notre dessert le zéphyr (Le citron : comme une tarte, meringues croustillantes, sorbet basilic). Tout était calculé avec précision », explique-t-il en sortant une feuille A3 qui calibre au gramme près les quantités pour chaque jour, « mais on a dû envoyer plus d’assiettes que prévu ». Pas question pour ce Meilleur Ouvrier de France et chevalier de la Légion d’honneur de ne pas servir les festivaliers qui ont parfois attendu plus de 30 minutes juste pour une portion miniature de Perles du japon en risotto, truffe, parmesan et jus gras ou une saint-jacques en salade, cacahuètes torréfiées, saveur thaïe.
Bien sûr, certains font les coqs, à l’instar du sympathique et ultra médiatique Pierre Sang. Zen et tout sourire, on le retrouve au coin d’un bar à eau en train de discuter après l’interminable service du samedi midi. « Je suis habitué à ce genre de festival et, avec mes équipes, on avait prévu le coup donc tout s’est bien passé côté cuisine. Par contre, on a eu une mauvaise nouvelle : mes deux potes street artistes qui devaient venir et grapher sur mon stand ne sont jamais arrivés pour cause d’accident de voiture. » L’ex-gagnant de Top Chef nous rassure : rien de grave.
Nombre de couverts : XXL
Les chiffres donnent le tournis. La plupart des chefs étoilés présents ont pris le parti de proposer 4 plats au lieu de 3. Le deal : fournir 300 portions de chaque plat le midi et le soir, c’est-à-dire une moyenne de 1300 assiettes par service, du jeudi soir au dimanche soir. Au total, un stand comme celui du Pré-Catelan, du restaurant Guy Savoy ou encore le Mandarin Oriental de Thierry Marx produisent environ 10 000 petites assiettes sur toute la durée de l’événement. « On est bien loin du service du soir chez nous dans notre restaurant ! » tempère Romain Meder, aux manettes du Plaza Athénée, qui s’interrompt brusquement pour aller saluer son mentor Alain Ducasse, approchant tranquillement, blazer en velours et mains croisées derrière le dos. Ici, mis à part le flux tendu et la fatigue, pas de désagrément particulier. « Allez voir l’équipe de SALT, ils vont vous raconter leur péripéties, ça vaut le détour ! » lance un des membres de l’équipe Plaza.
Crab and violence
Direction SALT, où la queue en plein coup de feu (midi ou soir) fait furieusement penser à celle de la bibliothèque de Beaubourg en période de partiels, les sacs de cours en moins. Des festivaliers de touts les âges se pressent en rang d’oignons pour déguster le mythique gratin de crabe fumé, macaroni au sarrasin, poireaux et verveine. Mais à quel prix ! « Nous avons reçu des menaces extrêmement violentes des voisins de l’immeuble dans lequel se trouve notre resto en préparant le festival », raconte Daniel Morgan, chef britannique à la barbe bien taillée et aux bras bien tatoués. Avant de ponctuer « So freaky ». Et pour cause, lui et onze autres membres de son équipe ont du décortiquer 250 crabes soit 219 kilos en une nuit pour pouvoir réaliser le fameux gratin. « L’odeur était tellement forte que les voisins, furibards, sont descendus frapper à la porte de la cuisine et nous ont menacés de ruiner le restaurant si nous n’arrêtions pas immédiatement ».
Finalement, la violence en cuisine ne vient donc pas systématiquement de l’intérieur. Quoique. Interrogé sur les coulisses du festival, Juan Arbaelez, tonitruant chef de Plantxa assène hilare : « L’un de mes gars s’est fait sortir sans aucun scrupule par la sécurité du festival et en ce moment je pense qu’il est à l’hôpital ! Il s’est battu avec un client après avoir dragué sa femme ». CQFD : « Taste of Paris » n’est pas un festival sans risques ! Dimanche soir, 23 h, on retrouve une partie de la team Plantxa debout sur le bar en train de danser sur un air latino endiablé. Pour eux comme pour les autres, la pression semble être retombée. Aux quatre coins du Grand Palais, les brigades plient bagage en silence ou en musique, l’air fatigué mais soulagé.
Mathilde Samama
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