Tous les soirs, la place de la République s’organise aussi pour faire manger les troupes. Récup’, cantine rebelle, commission restauration… manger pour rester debout. À l’heure où les cols blancs rentrent dans le sous-sol du métro, les “Nuit Debout” rhabillent la place de la République. Il est 18h et les tables en palettes se montent. […]
Tous les soirs, la place de la République s’organise aussi pour faire manger les troupes. Récup’, cantine rebelle, commission restauration… manger pour rester debout.
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À l’heure où les cols blancs rentrent dans le sous-sol du métro, les « Nuit Debout » rhabillent la place de la République. Il est 18h et les tables en palettes se montent. Ici, trois sacs d’oignons, trois cagettes de légumes Biobreizh, un jerrican d’eau et un slogan : « food, not bombs ». La petite équipe de la cantine rebelle revient comme hier, aujourd’hui et demain, avec sa grande gamelle et son réchaud. « Ce soir, ce sera soupe à l’oignon-mâche. Les épluches légumes sont là, tu coupes en petits dés », ordonne à la cantonade une tête à crête.
Corvée de patates bénévole ; pour certains ce sera le temps de fumer une clope, pour d’autres, toute la soirée. « C’est un acte militant », commente Élodie qui chapeaute une cantine mobile hebdomadaire à Ivry. La participation est libre, le peu d’argent récolté couvre les frais ou va aux « potes en garde av’ », explique la miss du 94. Trois jeunes filles maquillées observent la pluche et se rappellent qu’à leur bureau, des paniers bio sont restés sans destinataire. Demain, elles les rapporteront. Juste à côté, Les Feuilles des radis, revue militante, montre en 4ème de couv’ un « Bobigny avant », sans voiture et avec jardins. L’équipe chante Balavoine : « Quand on arrive en ville. » Plus loin, d’autres jeunes à la Kro, fredonnent eux « un petit poisson, dans l’eau, nage nage ».
« On réfléchit en même temps qu’on cuisine »
A deux tentes de là, la commission restauration a étalé cakes Savane, carrés de chocolat, café chaud, quelques clémentines et un gros pot de Nutella. Dans cette révolution food, on va quand même pas tout balancer ! Surtout de la nourriture. « L’alimentation, c’est la base. Ce que tu manges, c’est ce que tu es », clame Cyril de la team sandwichs. Devant le monceau de baguettes à farcir, les volontaires de la commission tartinent et discutent politique. « On réfléchit en même temps qu’on cuisine », se marre Vincent.
« Je suis persuadée que la nourriture dans un mouvement, c’est essentiel. C’est par l’alimentation qu’on peut changer une partie des problèmes », démarre Sophie. Changer les modes de production, respecter l’environnement, réduire les usines à viande, la Confédération paysanne, la malbouffe, tout y passe. « À la COP 21, ils ont expliqué que 30% des gaz étaient produits par tout ce qui touche à l’alimentation. Ça fait de gros leviers d’action », estime Sophie. « Hey, on va faire un stand légumes, parce que y’a que de la viande dans vos sandwichs », réclame un gars. « Oh, ça va les végétariens », conspue l’équipe qui veille pourtant à faire aussi du veggy.
La restauration de la Nuit Debout, offerte à tous, se fait avec les invendus des marchés, la récup’, les dons. Il y a de tout : 1kg de gruyère, du jambon sous vide, un choux rave, des gros pains. On stocke dans les frigos « des gentils », les volontaires du quartier. Un poissonnier vient d’apporter du homard, l’équipe ne sait pas encore comment le cuisiner. En vue de la nuit, un gars apporte des bougies collées dans un ex bocal de pois chiches. « C’est bien, ils sont hauts et ça fait de l’houmous ». Une dame propose de faire un couscous pour demain, à condition qu’on lui fournisse les légumes. Les clodos, les marges comme on les appelle ici, attaquent le « buffet prix libres ». Le pôle restauration est aujourd’hui installé pile à la place des Restos du Cœur hier. « On est quand même un mouvement qui lutte contre la précarité. Aider les précaires, c’est pas un problème ».
Opé Mc Do
La commission action – un seul pour l’instant, Victor, qui confectionne un mégaphone en carton – se met en place derrière. Il propose une action Mc Do qui « opère une évasion fiscale de 700 M ; avec cette somme, ils pourraient en payer des heures à 15€ plutôt qu’à 9″. Au stand sandwich, personne ne va chez le clown jaune. « La dernière fois, on était encore en francs », se rappelle l’un, « moi j’avais 14 ans », dit un autre, « je ne peux pas acheter de viande chez le boucher, mais ne pas aller au Mc Do, ça je peux le faire », milite le dernier.
« On va d’abord faire des actions gentilles, celles qui regonflent les gens, puis on va grossir. Le combat ça s’apprend petit à petit », explique Victor, plus âgé que la moyenne, plus politisé, plus aguerri à la lutte. « Là les gens sont comme des mouches sur le miel. Bien sûr, ça peut s’effriter mais il va en rester quelque chose ». Au micro, l’AG quotidienne a démarré. La commission climat qui vient de naître invite la foule assise à apporter des plantes à Répu, planter des graines, mettre des mangeoires pour les oiseaux dans les arbres.
A 20h30, tous les kebabs, pro de la manif, font chauffer poivrons et poulet à l’entrée du métro. « Chaud, chaud, chaud », gueulent-ils. There is no business like Répu business. A quelques stations de là, les Grandes Tables du Monde, qui réunissent le gratin mondial étoilé, tiennent soirée avenue Georges V. Coupe Moët à la main, tous les grands chefs papotent devant le stand de caviar de Petrossian. « Notre industrie traverse des temps troublés », démarre leur président, David Sinapian. « Il y a une baisse d’activité dans nos établissements. Nous devons tous ensemble défendre le grand restaurant, ses moments conviviaux et ses valeurs ». Clap de faim, petits fours, canapés. Ici, clairement, on mange assis.
Cécile Cau
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