L’ancien défenseur central des Bleus, champion du Monde 98 et d’Europe en 2000 commente l’actualité de l’équipe de France, à trois jours du coup d’envoi de l’Euro. Ambassadeur pour Carlsberg, sponsor officiel de la compétition, il revient aussi sur les polémiques liés aux propos de Karim Benzema et Eric Cantona, mais aussi sur son utilisation des réseaux sociaux.
Comment sentez-vous l’équipe de France à la veille du démarrage de l’Euro ?
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Marcel Desailly – On a retrouvé de l’énergie, de l’équilibre dans cette équipe. Beaucoup de joueurs nous ont quittés, d’autres sont arrivés, ils ont eu besoin d’un peu de temps pour s’adapter. Il semblerait que ça marche, même si le dernier adversaire des Bleus, l’Ecosse (victoire 3-0), n’a pas été extraordinaire. On ne connaît pas encore bien l’animation offensive, mais on peut y croire.
En 2006, vous vous disiez « pessimiste » pour l’équipe de France, qui est pourtant allée jusqu’en finale face à l’Italie…
Je n’ai pas fait partie de l’aventure de 2006 mais le contenu du premier tour était plutôt inquiétant, rappelez-vous [La France avait frôlé l’élimination en poule face au Togo, ndlr]. Pour une équipe qui prétendait gagner, ou du moins aller loin en coupe du Monde, avec tout le prestige que l’on avait, la génération 98-2000 n’était pas totalement partie, on avait rappelé Zidane, Thuram et Makélélé… On espérait qu’on montre un visage un peu plus conquérant à l’époque.
Le climat était plus tranquille aussi. Ce n’est pas le cas à la veille de cet Euro avec les sorties de Karim Benzema ou d’Eric Cantona sur Didier Deschamps…
Je pense qu’on arrive à suffisamment protéger les joueurs de tout ça. Avant tout, c’est bien de pouvoir s’interroger, il y a des réels problèmes d’intégration en France. Mais certainement pas dans le sport.
Avez-vous compris les propos de Karim Benzema ?
Non, mais je n’ai pas trop cherché à les comprendre car ils n’avaient pas trop de sens pour moi. Même ceux d’Eric… De toute façon, un sélectionneur qui veut gagner – et c’est le cas de Didier Deschamps – prend toujours les meilleurs joueurs. D’autres éléments ont fait que – en accord avec le président de la FFF – ils ont décidé de ne pas donner suite à sa sélection. C’est légitime.
Vous aviez vu Karim Benzema le soir de la finale de la Ligue des Champions, le 29 mai, soit deux jours avant la publication de la liste officielle de Didier Deschamps. Vous avait-il parlé de ses doutes de ne pas y figurer ?
Non… Il était dans sa joie à ce moment-là. Peut-être avait-il déjà eu l’information en avance… Maintenant il faut qu’il continue, il ne faut pas s’arrêter de travailler. Je suis déçu pour lui, je suis avant tout un joueur. Vous savez quand on est joueur, le plus important c’est de participer le plus possible à des compétitions et de gagner des trophées. Ce sont les seules choses qui restent ensuite. Le fait qu’il ne participe pas à cet Euro restera comme une blessure durant toute sa vie. Il peut gagner des millions tout au long de sa carrière, il manquera cet Euro dans son CV, à une période où il était au top, pour un truc qui n’est pas forcément justifié et qui est extra-sportif.
Ses propos n’étaient-ils pas plus liés à sa déception de manquer l’Euro qu’à un réel état d’esprit ? S’il pensait vraiment ça, pourquoi a-t-il choisi ce moment pour parler ?
Les fondations de ce démarrage de discussion ne sont pas bonnes. Cela ne sert à rien d’essayer de mettre des briques par-dessus par des explications (sic) car tout va s’écrouler. Il faut qu’on aille sur un autre sujet. On ne peut rien construire d’équilibré à partir de ce sujet-là, particulièrement. Maintenant quand vous observez dans la société, les messages délivrés politiquement ces derniers temps, alors là oui, certainement, on peut discuter et échanger. Mais là, il n’y a rien à dire.
Vous avez côtoyé Eric Cantona en équipe de France, en même temps que Didier Deschamps. Avez-vous compris pourquoi il a tenu ces propos envers le sélectionneur ?
Eric c’était notre numéro 10 ! Comme Benzema qui n’a pas été pris pour des raisons qui sont justifiées par la fédération, peut-être qu’il y a un antécédent. Il y a un choix technique qui a été fait à un moment donné. Donc après, on peut dire ce que l’on veut autour mais quand Aimé Jacquet décide de ne pas le prendre à partir de 1995, forcément Eric a cherché à regarder quels étaient les joueurs majeurs et il en a déduit tout ça de lui-même.
Vous savez, on invente plein de choses dans la déception. Et à l’époque, comme Didier aujourd’hui, le sélectionneur avait pris une décision. Comment voulez-vous vous battre contre ça ? Pour résumer, c’était Cantona ou Zidane. Il a fait son choix et la suite lui a donné raison. Zidane a été moyen en 96 mais il a pu s’exprimer sans avoir à être le second de quelqu’un. Il a été moyen mais décisif en 1998. Puis après, il est entré dans sa plénitude sportive, il a été extraordinaire jusqu’en 2006. C’est vrai que notre génération avait de fortes personnalités. Le groupe était très fort. On n’a jamais donné de noms de personne qu’il fallait prendre ou non. Mais on avait le mental.
Vous avez fait partie de la génération victorieuse qu’on a baptisée « Black Blanc Beur » et qui fait encore polémique presque vingt ans après…
On était à notre place et on a su rester où on était. Les médias et certains politiques ont essayé de se servir de ça. Si ça a pu ouvrir l’esprit de certaines personnes qui avaient des a priori, c’est une bonne chose. Si ça a permis à certaines personnes d’origine étrangère de croire en une nation, c’est aussi une bonne chose. Même s’ils ne sont que dix, cent ou mille. C’est déjà une victoire. Mais ça s’efface très vite…
Ca va bien quand la France gagne, mais c’est un défouloir quand les résultats ne sont pas là…
Ouais mais on n’attribue pas de responsabilité au sport en général. Cela ne reste que du sport.
Vous trouvez qu’on n’attribue pas de responsabilité au sport ?
Comment voulez-vous mettre la pression à ces jeunes en leur disant qu’ils ont une responsabilité sociale ? Ils sont des exemples… Mais c’est un milieu individuel, très égoïste en réalité. « Moi j’avance, je fais ma vie, je pratique ma passion, c’est devenu un métier. Si des jeunes s’identifient à moi pour pouvoir créer leurs ambitions et leurs motivations à travers l’exemple que je suis, super ! » Mais ça s’arrête là ! Celaa ne va pas plus loin !
Il ne faut pas leur donner le rôle qu’ils n’ont pas à vos yeux ?
On a cherché à nous le donner. La victoire a permis de booster ça, d’amener un intérêt global mais regardez… Les choses n’ont pas tellement évolué dans notre société. Mais nous, on est des victimes, il faut se rappeler de ça.
Vous en voulez à certaines personnes ?
Je suis content d’avoir fait partie de cette génération qui je pense était exemplaire dans sa constance et dans l’identification des gens. On a apporté une proximité aux gens.
Votre rire est devenu célèbre sur Twitter, dans vos vidéos de 30 secondes. D’où est-ce que ça vient ?
18 secondes les vidéos ! [rires] C’est très simple, je voyage beaucoup et j’avais l’habitude de faire ce type de vidéos dans ma vie privée pour tenir au courant mes enfants de mes activités. Je leur mettais toujours un petit côté ludique en rigolant ou en faisant des choses. Je fais ça depuis quatre ou cinq ans.
Les internautes les ont beaucoup commentées…
J’ai vu ça. Ce sont des millions et des millions de followers ! [En fait, 70 000 abonnés à son compte, ndlr]. Ca m’amuse mais bon, mes enfants sont un peu bousculés et barbouillés par rapport à ça parce que d’un coup, le côté privé se retrouve dans le public. Ca veut dire que leurs amis à l’école commentent ce que leur père fait. Ils se retrouvent dans une discussion de famille ouverte à tous où on leur fourgue leur père en pleine figure à chaque fois, sur des trucs qui étaient censés leur être réservés. C’est assez compliqué pour eux.
Les réseaux sociaux peuvent vous faire peur ?
Non pas du tout. Il faut savoir les utiliser. Combien de fois ai-je fait des Périscope ? Il faut faire attention, ne pas aller trop loin. Il faut assumer ce qu’on est amené à dire, c’est tout. Moi j’assume, je suis libre. Ce que je serai amené à dire, je le justifierai toujours et je l’expliquerai. Mais je n’irai pas faire comme Serge Aurier. C’est une maladresse qui ne peut pas arriver chez des gars comme moi. D’ailleurs, n’oubliez de mentionner mon réseau (sic) pour que les gens me rejoignent.
Dans le dernier spot pour la bière Carlsberg, vous annoncez faire la révolution en offrant des billets à tous. C’est une allégorie de votre volonté, plus tard, de prendre des responsabilités dans le football ?
[Rires] J’ai milité pour la candidature de Gianni Infantino [le nouveau président de la Fifa, ndlr]. Je suis très content d’ailleurs, car j’y crois, il est légitime en tant qu’ancien secrétaire général de l’Uefa, il a très bien bossé. Il a fait beaucoup pour les petites clubs et les petites nations de foot. Ils ont améliorer la diffusion du foot en Europe. Je suis allé vers lui naturellement. Pour les places, c’est pareil, c’est intéressant qu’il n’y ait pas de monopole. Ce n’est pas une monarchie, on ne va pas garder les billets pour nous. On est là pour les distribuer à tout le monde. J’espère que ce sera le cas pour cet Euro, l’Euro de Michel Platini, qui a voulu 24 équipes au lieu de 16 pour la première fois. C’est une énergie différente, c’est génial !
Michel Platini justement, vous êtes triste de ce qu’il lui arrive actuellement ?
Ca mériterait un article pour justifier le pourquoi du comment. Ce que je peux vous dire c’est que je suis simplement triste du fait que ce soit quelqu’un qui a beaucoup donné et qui a perdu son boulot. Il s’est certainement passé certaines choses mais dans tous les secteurs d’activité, il se passe des choses… Immobilier, politique en trading… Mais il a bossé et je ne vais rester que sur sa capacité de travail. Il a pris des risques, il a intégré beaucoup de nouvelles choses, pour les arbitres notamment. Il a fait de Ligue des champions une des plus belles compétitions au monde. C’est malheureux de voir une chute comme la sienne, il était légitime.
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