Joan as Police Woman est cette semaine à l’affiche du festival des Inrocks. Découvrez à cette occasion sa chanteuse Joan Wasser en interview, et les clips de Eternal Flame et The Ride en prime.
21 septembre 2006. Joan Wasser finit d’enregistrer quelques titres en acoustique dans un mini studio de la Maison de la Radio. On est plongé dans la pénombre. Joan porte les cheveux longs en bataille, exhibe plusieurs étoiles rouges tatouées sur les mollets qui dépassent de ses bottes en cuir et parle d’une voix franche et masculine qui a peu à voir avec les douceurs de son premier album. C’est dans cette bulle matinale artificielle que la jeune new yorkaise se confie sur l’achèvement que constitue pour elle la sortie de Real Life. Un dépassement musical et personnel qui suit le long service musical effectué auprès de personnalités du gratin de la pop comme Nick Cave, Lou Reed, Anthony ou Rufus Wainwright. Après avoir ainsi fait ses armes, anonyme, Joan a déboulé sans prévenir avec ses chansons jokers créant la plus charmante des surprises depuis Feist. Rencontre avec une dame de c’ur.
Quand as-tu pris conscience de ta voix ?
Joan Wasser : Après avoir joué du violon depuis toujours, je me suis mise à la guitare il y a huit ans. Pour moi, apprendre à jouer des accords était très fun, tout à fait nouveau et différent du violon qui se rapproche de la voix humaine. Je commençais par jouer quelques accords en chantant tout doucement dessus. Quand on n’est pas habitué à entendre sa propre voix, c’est horrifiant. Le son qu’elle produit ne pourrait pas être pire tant il est révélateur. J’ai mis du temps à m habituer à ma voix, et à découvrir ce que je voulais dire dans mes chansons, car j’étais habituée à m’exprimer à travers le violon. C’est en écrivant mes paroles que j’ai pris confiance. Si on n’est pas relax quand on chante, ça s’entend tout de suite. La voix est l’instrument du corps, elle engage ton corps tout entier.
Chanter après avoir accompagné au violon sur scène des chanteurs comme Anthony Hegarty ou Nick Cave, c’est encourageant ou désarmant ?
On se dit : « je ne pourrai jamais chanter ce qu’ils chantent ou avoir le même impact sur le public qu’eux ». En même temps, je suis attirée par mes peurs, je les creuse, je ne les fuis jamais. Depuis que ma relation à ma voix et donc à moi-même est devenue positive, cette peur de moins bien faire que les autres est devenue un atout. Donc mes relations musicales et amicales m ont été profitables. Il y a quelques mois J’étais en résidence au Living Room, un club à New York et Anthony, le chanteur d’Anthony & and The Johnsons, et Rufus Wainwright sont venus chanter avec moi. J’ai écrit sur eux sur mon blog. Anthony est quelqu’un de très doux. Quand tu es à côté de lui, tu à l’impression d’être dans ses bras, entourée. Non seulement sa voix est fantastique, mais il a un sens du rythme très élaboré, très puissant. Sur notre duo I Defy, c’est comme si sa voix avait une force centrifuge. Pour avoir beaucoup fait de tournées avec lui, je peux dire que Rufus ne rate jamais une fausse note en deux heures et demie de concert, même quand il a la voix cassée. Il est très théâtral et semble vivre, s’animer dans ses chansons.
C’est peut-être pour ça qu’il joue deux heures et demie
Elle éclate de rire. Sûrement. Je vois Rufus comme un chanteur classique qui déploie sa voix. Sans parler de sa technique, il a une approche classique de la musique, très influencée par l’opéra. Tu vois ce que je veux dire ? Il chante comme à l’Opéra même s’il est dans un pub new yorkais. Anthony est plus comme un chanteur de soul, loin du timbre nasal et appuyé de Rufus. Leurs timbres ne pourraient pas être plus opposés.
Tu as fait les arrangements de violon pour une chanson de Morley sur L’album Days Like These, tu es proche d’Elysian Fields ; tes amis new yorkais ont tous l’air géniaux.
Ils sont tous très talentueux et honnêtes. J’ai directement joué du violon dans mon premier groupe Mind Science of The Mind où jouait aussi mon ami Nathan Larson de Shudder to Think. On a enregistré un disque en quelques jours, fait cinq concerts et c’était tout. C’était très arty. Certains adoraient, d’autres se demandaient ce qu’on foutait Là. Après la mort de Jeff Buckley, j’ai monté Black Beetle avec Michael Tigh, le guitariste de Jeff. C’était la première fois que je chantais dans un groupe. Oren Bloedow d’Elysian Fields est ensuite venu nous rejoindre. Il jouait de la basse. C’est à cette époque qu’on a soudé quelque chose de fort. Je joue un peu sur l’album solo qu’il a fini d’enregistrer. Il y a quelques personnes comme Oren qui savent jouer de tout et qui ont sens musical hyper développé. Doug Wiselman m a été présenté par Oren. C’est lui qui a réalisé les arrangements de cuivres sur Real Life. Il joue de la clarinette, du saxo, de la guitare, du cor Comme Oren, c’est un génie.
Les cordes sont très discrètes sur Real Life, les chansons sont plutôt basées sur le piano
Je me suis mise au piano il y a six ans. J’ai composé les chansons soit à la guitare soit au piano, puis j’ai ajouté des cordes, mais pas des tonnes. Sur Christobel, on pense que c’est de la guitare électrique, mais c’est du violon avec des effets (elle chante une ligne de violon distordue).
La chanson Real Life ouvre le disque. Elle est programmatique de l’album. C’est aussi la plus mélancolique. A quel événement fait-elle écho ?
Je l’ai écrite très vite. Je crois que les chansons qu’on écrit sur les autres sont en fait des chansons sur soi. Là, j’avais rencontré un garçon, Jonathan, depuis une minute et demie à New York. Mais il vivait très loin. Je lui ai écrit la chanson pour lui prouver que j’étais sérieuse, que je voulais le revoir alors qu’il allait quitter New York. Au-delà de l’anecdote, c’est la première fois que je me prenais au sérieux dans une chanson. Etre artiste, c’est en grande partie se prendre au sérieux en se disant qu’on possède une voix qu’il faut exploiter. C’est beaucoup plus dur d’occuper le présent et de s’affirmer que de s’asseoir et de se dire : « j’aurais pu le faire ». C’est beaucoup plus dur de se dire : « j’ai le pouvoir de le faire, et je vais utiliser ce pouvoir pour le faire ». Cette chanson c’est une manière de dire que je suis consciente de ce que représente ce disque pour moi : un énorme pas en avant. Réaliser que je savais écrire des chansons m a sauvé la vie. Ecrire en tournée est aussi très hygiénique. Ça me permet de garder les pieds sur terre et de polariser mes pensées sur autre chose que l’emploi du temps. Si j’ai une mélodie en tête, une partie de mon cerveau est occupée. J’ai enregistré seize ou dix sept chansons pour le disque et gardé les dix qui allaient le mieux ensemble. Mais j’ai beaucoup de nouvelles chansons que j’adore jouer en concert. Je joue tout le disque sauf I Defy, parce qu’Anthony est irremplaçable, des inédites et quelques reprises. Je varie les setlists selon que si je suis en solo ou en groupe. Les concerts m’empêchent de devenir zinzin. J’en ai quatre aujourd’hui. La journée est bien partie !
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Avec l’aimable autorisation de Pias