Le 19 mai 2016, six députés écologistes ont quitté le groupe EE-LV, provoquant sa disparition et la mise au chômage de ses dix employés. Depuis, ils se rendent tous les jours à l’Assemblée pour négocier leurs indemnités de licenciement… et errer dans les couloirs.
Pendant quatre ans, c’est une question que Frédéric Guerrien ne s’est jamais posée: “Mon badge va-t-il ouvrir les portes de l’Assemblée nationale ?” Depuis le 19 mai, la crainte l’accompagne chaque matin. Ce jour-là, Frédéric a cessé d’être collaborateur parlementaire. Lui et neuf de ses camarades étaient les petites mains du groupe Europe Ecologie-Les Verts (EE-LV) à l’Assemblée jusqu’à ce que six députés EE-LV décident de rejoindre les socialistes, provoquant la disparition du groupe et de ses dix salariés…
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Le jeudi 19 mai au matin, le petit monde écolo bruisse de rumeurs : près d’un tiers des députés Verts serait sur le point d’annoncer leur départ. Cécile Duflot fait savoir aux collaborateurs qu’elle se battra pour sauver le groupe. L’un d’eux appelle Paul Molac, futur sécessionniste. Le député du Morbihan reconnaît à demi-mot l’explosion de la galaxie EE-LV. En début de journée, la confirmation tombe par un communiqué diffusé sur Twitter.
“Le sol s’ouvre sous tes pieds. Tu as bossé pendant quatre ans, parfois jour et nuit. Et là, en une seconde, tout s’effondre, témoigne une des victimes de la mort du groupe. La précarité fait partie intégrante de notre métier. On sait que tout peut s’arrêter après une défaite électorale. Mais là, c’est différent. Tu perds ton boulot à cause de querelles politiques dans ta propre famille.”
En l’occurrence, à cause de l’affrontement entre les lignes Duflot et De Rugy. “Nous sommes les enfants de parents qui ont commencé à se disputer, puis se sont tapés dessus avant de divorcer. Sauf qu’ils divorcent sans juge.” Les dix collaborateurs sont perdus dans un flou juridique. Ils n’ont reçu aucun avis de licenciement mais leur fonction a de fait disparu avec le groupe.
Kafka au Palais-Bourbon
Tous les jours, ils se rendent à l’Assemblée pour éviter d’être accusés d’abandon de poste, mais ils ne peuvent plus assister aux travaux des commissions auxquelles ils sont rattachés. C’est Kafka au Palais-Bourbon..
“Comment se présente-t- on à nos interlocuteurs ? On ne travaille plus pour personne. Dans les couloirs, les gens nous regardent parfois de travers. On a l’impression qu’ils se demandent ce qu’on fait encore là. Certains huissiers ont pitié et nous laissent passer”, raconte Frédéric.
Les journées sont rythmées par d’incessantes réunions pour dénouer les multiples questions que posent cette situation inédite. “Avec qui doit-on négocier notre licenciement ? La présidente de l’association qui nous emploie, Cécile Duflot ? François de Rugy, co-président du groupe depuis sa création?”, s’interroge une collaboratrice.
Les deux affichent leur volonté de s’impliquer dans ce dossier. François de Rugy, allié du gouvernement, a rencontré à trois reprises les salariés de l’ex-groupe. Son adversaire, Cécile Duflot dit les voir tous les jours. Mais les deux excluent de se retrouver dans la même pièce. “On va s’éviter ça”, nous confie-t-elle.
François de Rugy a proposé d’engager une action conjointe avec sa meilleure ennemie. “Elle n’a pas donné suite”, assure-t-il. La dissolution de l’association qui emploie les dix collaborateurs nécessite pourtant la réunion d’une assemblée générale. Les camps Duflot et de Rugy se retrouveraient alors autour de la même table. Non, répond Cécile Duflot: “François de Rugy est démissionnaire. Il n’a donc plus de fonctions dans l’association.”
“Attention à ne pas faire traîner les choses”, répond de son côté le député de Loire-Atlantique. Au milieu, les travailleurs de l’ombre regardent les balles passer. “On essaie de rester hermétique aux luttes politiques”, souffle l’une d’elles.
Une dotation exceptionnelle
Pour dénouer leur situation, les collaborateurs ont écrit au président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone. En accord avec les questeurs, qui tiennent les cordons de la bourse, il a décidé d’allouer une dotation exceptionnelle à l’ex-groupe EE-LV. Une enveloppe de 264 000 euros, soit une indemnité de licenciement de 33 000 euros maximum pour huit employés de l’association écologiste, les deux derniers étant des fonctionnaires en détachement.
Le budget du groupe EELV pourra servir à compléter ces indemnités… s’il reste des sous dans la caisse car, malgré sa disparition, le groupe doit continuer à régler des factures qui courent jusqu’à la fin de l’année. Fin juin, les dix employés devraient également percevoir leur dernier salaire. Un salaire moyen qui tourne autour de 2 500 euros par mois.
Une fois licenciées, que feront ces petites mains? Cécile Duflot croit pouvoir fonder un nouveau groupe avec les neufs députés écolos qui lui sont restés fidèles et des frondeurs socialistes. Il lui faut en trouver cinq pour atteindre les 15 élus nécessaires à la constitution d’un groupe. “On est tout proche”, promet-elle. “Seuls deux noms manquent”, précise Noël Mamère.
Certains salariés EE-LV pourraient s’y recaser. S’ils le souhaitent ce qui semble exclu pour le moment. “Je ne me vois pas rester collaborateur. C’est usant”, affirme Pierre Januel. “Je ne ferme pas la porte mais pour le moment, je digère ce qui s’est passé”, lâche une autre. Sur les dix salariés actuels, seuls deux devraient poursuivre l’aventure à l’Assemblée, mais dans les rangs du groupe PS. Les autres s’apprêtent à prendre le chemin de Pôle emploi.
En essayant de garder le sourire, comme cette jeune attachée parlementaire:
“En quelques mois, on a eu chez EE-LV les départs au gouvernement, l’affaire Baupin et la fin du groupe à l’Assemblée. A moins d’être chargés de la réunification des deux Corées, on ne trouvera de toute façon pas un boulot avec plus de tension que celui que l’on quitte.”
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