A Sérignan, Bruno Peinado ouvre une nouvelle brèche d’utopie et fait coulisser l’histoire mythique du club mancunien de l’Haçienda avec celle des années 2010.
En 1982, le patron du label Factory Records Tony Wilson s’est souvenu de ses lectures situationnistes, du manifeste d’Ivan Chtcheglov et de son mot d’ordre : “Il faut construire l’hacienda.” Aux Inrocks, on connaît la suite de l’histoire par cœur, la création du club mythique de la prolétaire Manchester dans un ancien entrepôt de bateaux qui deviendra le berceau de la house etle temple de New Order, des Cramps, de Divine ou des Cocteau Twins, mais aussi de l’ecstasy et du DJing.
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Lorsque l’on arrive au musée de Sérignan, c’est d’abord cette réplique du mythique dance-floor, avec ses poteaux sanglés de jaune et de noir comme sur un ring de boxe, que l’on remarque. Le soir du vernissage, et jusqu’au petit matin, viendront s’y succéder visiteurs survoltés et danseurs hagards.
Un nouveau chapitre à raconter
“Il faut reconstruire l’Hacienda”, ose Bruno Peinado, invité à célébrer le nouvel épisode de ce musée d’art contemporain né dans les années 1990 de la volonté d’un maire amateur d’art et dont la façade kaléidoscopique a été conçue par Daniel Buren.
Devenu musée régional, aujourd’hui porté par la grande région Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées qui se cherche encore un nom, il vient de se doter d’un nouvel espace qui fait grimper à 3700 mètres carrés sa superficie. Mais arrêtons là la logique comptable : en confiant à Bruno Peinado la façade du nouveau bâtiment ainsi que ses espaces d’exposition temporaires (le reste du musée accueillant un prêt exceptionnel du Cnap), c’est avant tout un nouveau chapitre que cherche à raconter Sérignan.
Peinado répond à Buren par un jeu de panneaux et d’enseignes
Celui d’un dialogue entre deux artistes, Peinado répondant à Buren par un jeu de panneaux et d’enseignes qui font la promotion de l’histoire de l’art plutôt que celle de la marchandisation, et d’un musée-laboratoire qui comme l’Haçienda de Manchester se veut un lieu ouvert à tous, sans videur à l’entrée et sans laisser-passer pour l’art contemporain (cette terre encore inconnue pour nombre de visiteurs).
Une fois quittée la piste de danse qui accueillera tous les dimanches (à l’heure du thé dansant !) une série de DJ-sets, de concerts, de lectures et de conférences, il faut monter à l’étage et se laisser bercer par le paysage acidulé de Peinado. Les années ont passé, la rage est retombée mais l’artiste, qui signe ici un retour magistral, ne s’est pas laissé gagner par l’amertume.
Prolonger l’histoire et l’écrire si possible à quatre mains et plus
Il rebat les cartes, en grand, avec une réplique surdimensionnées et glossy du House of Cards des designers californiens Ray et Charles Eames, il relit l’histoire de la peinture avec une frise de tableaux miniatures qui dialoguent avec les gestes des artistes de Support/surface, de BMTP, des minimalistes californiens ou de Matisse.
La grande salle est un bain de lumière ponctué de peintures pastel ou sprayées et de rochers inamovibles sur lesquels Peinado laisse littéralement apparaître la main qui les a modelés autant que celle qui les a inspirés. Prolonger l’histoire et l’écrire si possible à quatre mains et plus, c’est aussi ce qu’il fait dans la dernière salle, où un îlot central accueille une collection d’assemblages bricolés avec ses filles. “L’hacienda où les racines pensent à l’enfant et où le vin s’achève en fables de calendrier”, écrivait Chtcheglov.
Il faut reconstruire l’Hacienda jusqu’au 9 octobre au Mrac de Sérignan, mrac.languedocroussillon.fr
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