Transfigurer « Game of Thrones » en film pour adultes : un acte qui en dit long sur le rapport entre la culture pornographique et la série HBO.
Game of Thrones a t-il tué le porn game ? Vanity Fair nous le raconte: la série de HBO a (encore) eu droit à une parodie pornographique. Storm of Kings est donc une mini-série de plusieurs épisodes, produite par l’imposant network Brazzers, groupe en top de liste sur Pornhub.
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L’histoire ? John Doe – avatar de Jon Snow – et Daniellys Tarus (notre chère Daenerys) se démènent pour renverser le roi Jasper de son trône. L’incongru couple profitera ainsi du moindre instant pour s’envoyer en l’air… et pas simplement à dos de dragons (oui, car il y a bel et bien des dragons en images de synthèse dans ce pastiche).
(Aletta Ocean dans Storm of Kings)
Moins de sexe, plus de sens ?
Le budget très confortable de ce pastiche X peut s’étendre de 100 000 à 1 million de dollars. On est certes très loin des 8 millions de dollars de Pirates II: Stagnetti’s Revenge, la production Digital Playground autoproclamée blockbuster du porn (pourvu de ses superstars Jesse Jane, Sasha Grey, Katsuni, Stoya). Mais dans le genre film à costumes, ce GoT-là témoigne d’une relative exigence. Le site WinterIsComing nous affirme que « la parodie porn de Game of Thrones se focalisera sur l’histoire, les belles morts…et plus”: 10 minutes de « vraie histoire » pour un épisode de 40 minutes, ce qui « est plutôt rare pour ce genre de productions« . Ironie: en insistant sur l’intérêt du plot (histoire) envers le porn, les producteurs de Brazzers semblent nous renvoyer à la schématisation abusive de la série originelle telle qu’établie par les critiques trop expéditifs, à savoir réduire le show à un mix entre sexe et ultraviolence.
Changement de paradigme dans l’industrie, le producteur Ryan Ryder précise que « ce n’est pas parce que ça se termine comme un film porno que les fans de pornographie ont besoin de voir un film cheesy, une comédie« . Le sérieux autoproclamé de l’entreprise l’éloignerait ainsi du ton des dernières cocasseries satiriques (This Ain’t No Game of Thrones XXX, Gay of Thrones), et en particulier de Game of Bones, le long-métrage des studios Woodrocket. La philosophie de Woodrocket est celle de la culture 2.0, des mèmes, des gifs, des Youtube spoofs – jusqu’à tourner en dérision, plus que les personnages de la série, les codes intrinsèques du porn : le goût des acteurs pour le jeu bigger than life, le double-sens des répliques, le ridicule des transitions narratives.
Lee Roy Meyers, l’une des têtes pensantes de la boîte, à qui nous devons par exemple Strokemon (oui oui, la parodie porn de la série Pokémon), déclarera pour Xcritic au sujet de ce sous-genre que « les gens qui ne regardent pas de porno pendant longtemps se disent que les parodies porn représentent ce que l’industrie du film pour adultes peut offrir de plus ridicule.”. Mettre moins d’humour, c’est se rapprocher davantage du sérieux cérémonial de la série, lui rester fidèle…dans un climat d’échangisme et d’adultères.
Mais les sursauts médiatiques provoqués par l’annonce de Storm of Kings dépassent les particularités intrinsèques de la série elle-même. En 2014, l’actrice X Samantha Bentley s’est exprimée sur son expérience de « body double » au sein du tournage de la cinquième saison de Game of Thrones. « Les fesses de Daenerys, c’est toi ? » lui-a-t-on dit lorsqu’elle s’est affublée, pour la saison 5, d’une robe dévoilant sa chute de reins. « J’ai fait du porno, mais sur le tournage d’un film X tout le monde est nu. Sur Game of Thrones, je me promenais en tenue d’Eve et tout le monde me regardait, quelle pression ! » s’amuse-t-elle. Comme si une simple porte séparait le plateau d’une production pornographique et celui du hit de la chaîne câblée.
Une analogie qui fait fortement fantasmer le réalisateur de Storm of Kings, déclarant à Vanity Fair que « ce serait génial si les fans commençaient à partager tout un tas de théories sur la version pornographique de Game of Thrones, comme ils ont pu le faire pour l’original« . Mais même par jets de flammes et de sang, peut-on réellement « pornographiser » Game of Thrones ?
Game of Thrones est plus porn que le porn
Déjà dispo en ligne, Storm of Kings n’a pas grand-chose de jouissif. On a l’impression de mater un mix kitsch entre Xena la Guerrière et une version polissonne d’Astérix – à mille lieux des galipettes orgiaques du Caligula de Tinto Brass. Si les rasades de flammes sont spectaculaires, les créatures légendaires renvoient quant à elles à Cœur de Dragon, le blockbuster nineties de Rob Cohen. Cela étant, doté d’une photographie impeccable et de costumes soyeux – on est quand même loin des cosplay amateur fétichistes omniprésents sur les tubes – ce pastiche n’est pas sans intérêt.
Faisant symboliquement écho au statut d’icône du personnage principal, Daenerys demeure au corps du récit dans ce remake porno. Son corps, comme c’était le cas dès la scène d’amour du S01E02 de la série HBO, se fait une nouvelel fois la preuve de son pouvoir, même si celui-ci est codifié par cascades de tags obscènes – big tits, blonde, costume, tattoo.
(Peta Jensen dans Storm of Kings)
Au centre de Storm of Kings persiste cette évidence : chaque scène de sexe n’est que le prolongement vain et sans force évocatrice de son modèle – comme si l’ultravisionnée Game of Thrones avait surpassé au gré des polissonneries tout un pan mainstream de la culture pornographique. Lorsqu’en plein banquet le cabotin Roi Jasper tripote les poitrines découvertes de ses servantes ou contemple dans sa chambre à boucher de longues vagues de baisers lesbiens, l’on se dit que ces scènes façon série rose auraient très bien nous parvenir dans la version dite-« soft » de l’épopée.
En 2013, la promotion de Game of Bones sur le site AVN était des plus éloquentes: « Si vous pensez que Game of Thrones est déjà porno par nature, attendez de voir nos scènes de pénétration !« . Il n’en fallait pas davantage pour que George R.R Martin impose un nouveau paradigme en affirmant: « de toute évidence, Game of Thrones c’est déjà plus porn que du porn« . Le romancier explique:
« Car la relation incestueuse [entre Cersei et Jaime Lannister] est au cœur de Game of Thrones et apparaît très tôt dans ma saga romanesque. Mais dans la version pornographique que va produire Woodrocket, il n’y aura pas d’inceste car les producteurs trouvent cela trop choquant. CQFD: mes livres sont donc plus « hardcore » que la version porno ! »
Woodrocket concevait l’inceste comme une barrière à ne pas franchir, affirmant chez AVN News que « la relation incestueuse entre ces deux personnages est un véritable tabou. Or, à Woodrocket, nous essayons traditionnellement d’éviter de faire de l’inceste un code établi du porn« . Et en 2016, la situation est exactement la même pour Storm of Kings. Pas de viol, de sexe trop brutal, pas d’inceste. Les scènes de sexe, entre threesome et doggystyle, seront propres, classiques, traditionnelles, mainstream. Pudibonds, Woodrocket et Brazzers se refusent à l’usage du « Faux-Incest » (ou fake incest), perversion pourtant très populaire auprès de la Millenial Generation (les 18-24 ans).
« Il faut filmer ça comme on filmerait les autres scènes pornos » explique le metteur en scène pour Vanity Fair. « Dès qu’il y a pénétration au cours d’une scène hardcore, vous ne pouvez pas montrer l’inceste. C’est un tabou. On ne veut pas être trop dégoûtants. Nous voulons simplement divertir et nous amuser avec ça« .
Le nouveau Sex & the City ?
Rendre pornographique Game of Thrones : un projet condamné à l’échec ? Les créateurs de South Park faisaient déjà en 2014 de George R.R. Martin un pornographe, en insistant sur son obsession pour les pénis turgescents. Comme s’il s’affublait de la casquette d’un créateur œuvrant pour Playboy, Martin déclarait alors au cours du ComicCon: « On m’a dit que mon personnage dans South Park est obsédé par les bites. Je démens cette rumeur calomnieuse. Les bites c’est très bien, mais je ne suis pas obsédé par ça. Je préfère les nichons;”
Nombreux sont les blogs chrétiens, tels le Think Catholic de Janelle Sanchez, à critiquer la série en raison de la banalisation du sexe explicite qu’elle semblerait proposer. A travers son billet explicite (« Game of Thrones is porn« ) Sanchez nous affirme ainsi que « être un chrétien et regarder Game of Thrones est un péché« , que cette série, insultante à l’égard des femmes, serait l’incarnation du Mal et nous éloignerait d’un « monde plein d’espoir« , c’est-à-dire du « monde réel« .
Une rhétorique boiteuse puisque se concluant sur un extrême, à savoir une citation du tueur en série Ted Bundy: « Si vous souhaitez que les gens ne deviennent pas comme moi, ne brûlez pas L’Attrape-Cœurs de JD Salinger, brûlez Hustler ». Un renvoi direct au combat de Larry Flynt (créateur en 1972 de la revue cochonne Hustler), s’opposant aux nombreuses ligues de vertu américaines avant de finalement intenter un procès à Jesse Helms, l’un des grands noms de la droite chrétienne ultraconservatrice. Si Flynt se battait pour la liberté d’expression – le droit à la caricature – de quelle nécessité sociale la série HBO serait-elle alors le nom ?
(Anissa Kate et Aruba Jasmine)
La réponse est envisageable : de manière plus ou moins effective, Game of Thrones participerait à la démocratisation de la pornographie. Le show alimente l’industrie pornographique en lui inspirant des détournements, mais, plus encore, elle nous convie à l’explorer. Talentueuse sociologue, spécialiste des gender studies et contributrice régulière à la revue universitaire Porn Studies, Chauntelle Tibbals expliquait le succès du « fake incest » en le rapprochant directement de la popularité de Game of Thrones.
« Historiquement et culturellement, ce qui rend la pornographie si envoûtante est de toute évidence son côté « tabou ». Aujourd’hui, parler librement de sexualité n’est plus si compliqué. Notre accès digital au sexe a certainement rendu le porno moins polémique. Du coup ce n’est pas si étonnant de voir que les dérivations « tabous » soient au centre des conversations. En fait, notre intérêt pour la chose n’est pas tant galvanisé par l’industrie des films pour adultes que par le divertissement mainstream – pensez par exemple à la relation entre Cersei et Jaime Lannister. Il est permis de penser que les sujets tabou dépeints dans les fictions « non-tabous » donnent justement aux spectateurs la permission sociale d’explorer par la suite un contenu plus érotique, plus hardcore. »
En traversant Westeros nous redéfinissons ce qu’est la pornographie (en est-ce d’ailleurs ?) et les transgressions de la série facilitent son acceptation auprès du grand public. Le récent épisode « The Door » (S06E05) et son gros plan brut de décoffrage sur un pénis intègre une bonne fois pour toutes dans GoT une forme de parité porno où se conjuguent sexes masculins et féminins, tous frontalement découverts. Un panel de représentations impudiques vrillant à la déviance sadienne voire pasolinienne, de la défécation (l’humiliation de Cersei à la fin de la saison V) à la castration (pauvre Théon).
GoT, le meilleur des préliminaires possibles
En se permettant tous les excès, la série participe à la légitimisation de la pornographie comme objet de discours. C’est Kellie Scott du Daily Telegraph, qui nous le confirme: Game of Thrones rend le porno socialement acceptable. Ce que Sex & the City a fait pour la sexualité féminine, Game of Thrones, à coups de scènes-choc et de « full frontal » décomplexés, le fera pour le X : faire du médium, une fois pour toutes, un sujet populaire de société, et non un tabou.
“Cela nous renvoie à il y a plus d’une décennie déjà. Sex and the City mettait alors de côté les conversations féminines traditionnelles à propos des mecs et des rencards. Tous les personnages parlaient ouvertement d’orgasmes, se confrontaient à des dilemmes – comme quand le petit ami politicien de Carrie exigeait d’elle qu’elle lui urine au visage – et dormaient en compagnie d’autant d’hommes qu’elles voulaient. Puisqu’après toutes ces années les femmes se sentent plus confortables à l’idée de parler en public du type de vibromasseur qu’elles utilisent, nous désirons désormais franchir une nouvelle étape. Partager ensemble les séances en prime-time de Game of Thrones serait cette étape. Au-delà du sang et de l’inceste, j’aime à me dire que mater Game of Thrones tous les lundis soirs pourrait égaler les meilleurs préliminaires possible.”
Game of Thrones, contrairement à ce que pourraient laisser penser des graphiques Pornhub qui ont tout d’une blague, ne démontre pas la valeur de son succès en faisant baisser les taux de fréquentation des plateformes de vidéos. Machine économique mais surtout sociologique, elle nous plongerait au cœur d’une époque archaïque déchirée par la superstition et la violence shakespearienne de guerres intestines pour mieux nourrir une vision paradoxalement « moderne » et actualisée de la culture hardcore. Winter is cumming….
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