Invitée des Rencontres chorégraphiques de Seine-Saint-Denis et du Théâtre de Chaillot, la danse coréenne se dévoile durant un mois. Reportage en avant-première à Séoul, où les compagnies tentent de se développer malgré un environnement difficile.
Il y a beaucoup de fantômes dans la danse contemporaine qui se crée à Séoul en ce printemps. “Mais ici, en Corée, ils sont vus comme des amis. On peut jouer avec eux. Y compris sur scène. Comme on joue avec l’existence et l’inexistence”, résume Lee Kyung-eun, invitée des Rencontres chorégraphiques de Seine-Saint-Denis avec Mind-Goblin, un solo d’une rare puissance. Pour les artistes locaux, de différentes générations, les esprits ne sont jamais loin.
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Le chamanisme non plus, encore pratiqué dans le pays et qui inspire nombre d’entre eux, à l’instar d’Aesoon Ahn. Sa création, AlreadyNotYet, qu’elle présente à Chaillot, prend ainsi des allures de rituel parfois impénétrable avec papiers découpés, référence aux kokdu, des figurines de bois utilisées comme décorations funéraires, et danse fiévreuse.
“Les rites, une forme de spectacle pour les Coréens”
“Le chamanisme est entré dans le quotidien des Coréens. On fait des cérémonies pour les ancêtres. Et cela donne une orientation pour la vie présente. Les rites m’intéressent ; c’est également une forme de spectacle pour les Coréens. Il y a de la joie, du rire, on s’amuse ensemble”, précise la chorégraphe, qui dirige aujourd’hui la Compagnie nationale de danse contemporaine de Corée. Elle rappelle à travers sa gestuelle que la mort ne signifie rien sans la vie.
Jouant sur différents niveaux de compréhension, Aesoon Ahn réinvente la tradition à sa sauce – piquante. Autour d’elle, le compositeur Taewon Lee et la chanteuse Minhee Park signent une bande-son toute en tension. Et le Français Eric Wurtz est aux lumières.
Des danseurs et chorégraphes ont pris la tangente, aux Etats-Unis ou en Europe
En cette année croisée France-Corée, les échanges ont été nombreux entre les deux pays. En témoignent les créations réussies de José Montalvo avec la Compagnie nationale de danse de Corée, ou d’Arthur Nauzyciel, versant théâtre, qui seront présentées à Chaillot. Dans une nation où les perspectives artistiques ne sont pas si nombreuses, des danseurs et chorégraphes ont pris la tangente, qui aux Etats-Unis, qui en Europe.
Autre trajectoire, Sung-soo Ahn, accueilli à Chaillot avec Immixture, est parti faire ses études en Amérique. Porté sur la communication, il va pourtant changer d’axe et se retrouver à étudier la danse ! Il passera une dizaine d’années sur place avant de revenir en Corée, où il est devenu un des représentants les plus admirés de la danse contemporaine locale.
Les femmes innovent
Immixture offre aux regards une danse – parfois avec maniement de sabres ! – à la virtuosité infaillible servie par des interprètes à la folle énergie. Même si le résultat est parfois un peu lisse, on admire l’engagement sans faille de l’ensemble.
“Plus je vieillis, plus je suis attiré par les danses traditionnelles. Mais je constate que ceux qui pratiquent ces danses ont du mal à inventer quelque chose de nouveau”, dit celui qui a œuvré avec la Compagnie nationale de danse de Corée, forte de solistes pratiquant les danses d’autrefois comme celles des cours royales. “Les jeunes créateurs voyagent, échangent avec d’autres troupes. C’était moins le cas pour les gens de ma génération”, résume le chorégraphe.
On aura constaté durant notre séjour en ce début de printemps que, sur la scène coréenne, ce sont les femmes qui font le plus preuve d’innovation. A l’image d’une Kim Bora dont la pièce Somoo pourrait être une des révélations des Rencontres avec son regard porté sur les femmes d’aujourd’hui.
Hors Séoul, peu de chances de se produire
Eun Me-Ahn, la star coréenne au crâne rasé, a d’une certaine manière montré la voie. Elle s’est formée aux Etats-Unis et elle fait actuellement un tabac dans le monde avec ses Dancing Grandmothers qu’elle met en scène avec un rien de naïveté.
Dans sa troupe, on retrouve des danseurs qui n’hésitent pas à vivre leur vie de performeur, à l’image de Lee Hee Moon, sorte de “petit frère” de François Chaignaud, chanteur et acteur à géométrie variable. Son Gulip Project attendu aux Rencontres le voit dialoguer avec Monk Junk Kak pour un rituel qui se serait déplacé dans un… karaoké !
Cette facilité à circuler d’un univers à un autre renvoie surtout à la situation des artistes à Séoul, la capitale concentrant les lieux de répétitions et de programmation – voir les subsides. Hors la mégalopole, peu de chances de se produire. Si les conglomérats du pays s’offrent des musées ou galeries de classe mondiale, et si le théâtre possède son quartier avec une centaine de salles en ville, la danse reste le parent pauvre d’une culture essayant de jouer le soft power qui a si bien réussi au voisin japonais.
“Partir à l’étranger pour vivre mieux de la danse”
Insoo Lee, qui présente à Chaillot son duo sensuel Modern Feeling, a ainsi créé son école de danse, où il donne des cours pour survivre. Pansun Kim, lui, danse avec la compagnie Emanuel Gat. Et peut compter sur le soutien du Seoul Performing Arts Festival et du Seoul International Dance Festival pour mener à bien son projet solo OWN MHz. Il lui en faudra plus néanmoins pour se faire repérer sur une scène internationale devenue de plus en plus concurrentielle.
“En Corée, on ne gagne presque pas d’argent avec le spectacle. Il faut essayer de partir à l’étranger pour en vivre mieux”, lâche Insoo Lee. “Je dis toujours aux futurs danseurs : soyez prêts à renoncer au luxe”, reprend Sung-soo Ahn. Une philosophie toute coréenne.
Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis, Focus Corée du 28 mai au 5 juin, rencontreschoregraphiques.com
Focus Corée Théâtre national de Chaillot du 9 au 24 juin, Paris XVIe, theatre-chaillot.fr
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