Un immense travail, supervisé par le musicien lui-même avant sa mort, qui rend justice à de nombreux trésors oubliés.
Il paraît qu’en Chine Lou Reed est surtout connu comme un maître du tai-chi. C’est ce que nous apprend sa veuve Laurie Anderson, qui espère la publication prochaine d’un livre que son mari, fervent disciple de cet art martial, avait mis en chantier. “Le livre s’intitule The Art of the Straight Line. C’est un mélange de textes et de photos que Lou n’a malheureusement pas pu compléter”, nous dit la musicienne, qui a partagé les vingt dernières années de la vie de l’ancien chanteur du Velvet Underground disparu en 2013.
Outre ce manuscrit, elle a hérité de nombreux écrits et enregistrements inédits, ainsi qu’une importante collection…d’armes blanches. “Lou n’était pas ce que l’on appelle un collectionneur, sauf pour ce qui concerne ses épées et ses sabres.” Rien d’étonnant donc que l’ultime tâche à laquelle se soit attelé le prince du rock new-yorkais fut de redonner du tranchant à une part importante de sa discographie, émoussée par le passage au CD.
« Parfois en redécouvrant certaines chansons, il exultait »
Regroupés dans un coffret tout noir, ce ne sont pas moins de seize albums (dont deux live regroupés sur trois CD), parus entre 1972 et 1986 sur les labels RCA et Arista, qui ressortent avec une dynamique boostée et un spectre sonore restauré. “Lou était absolument outré qu’on ait pu à ce point vandaliser son œuvre. Certaines parties de guitare sur l’album The Bells avaient tout bonnement disparu à la compression !”
Ce travail de remise à niveau, effectué en compagnie du producteur Hal Willner, l’a occupé les derniers mois de sa vie, lui procurant des moments de joie intense. “Parfois, en redécouvrant certaines chansons, il exultait littéralement. Cela n’avait rien à voir avec la nostalgie. Je crois que Lou souhaitait rendre justice à sa musique, en être fier à nouveau. Et permettre
au public de découvrir ou de redécouvrir certains de ses albums.”
Une lecture faussée de son travail solo
Si l’on excepte le très glam-rock Transformer (avec Walk on the Wild Side, seul tube de sa longue carrière) l’“opératique” Berlin et le très délassant Coney Island Baby, rares ont été les disques à se hisser à hauteur d’une renommée qui pour l’essentiel découle de son passage au sein du Velvet. Une lecture faussée de son travail en solo que lui-même a en partie favorisée en insistant en concert sur le répertoire du Velvet, comme nous le rappelle Rock’n’Roll Animal, à l’habillage heavy metal.
C’est donc l’occasion ou jamais de replonger dans une écoute neuve de recueils moins connus parus à une époque qui lui fut moins favorable que supposé, celle du punk notamment, où le nom du Velvet circulait pourtant beaucoup, trop sans doute pour ne pas décevoir un jeune public attendant les nouveaux Heroin ou I’m Waiting for the Man.
Trésors cachés
Peut-on pour autant parler de trésors cachés ? Un disque comme New Sensations est celui qui comble le mieux le critère avec les enthousiasmants I Love You, Suzanne ou Fly into the Sun. Dans chacun des treize albums studio (l’extrémiste Metal Machine Music reste hors catégorie) se nichent ainsi un voire plusieurs moments de grâce, qu’il s’agisse de The Gun et Heavenly Arms sur The Blue Mask, de Video Violence sur Mistrial, de Disco Mystic sur The Bells… Le morceau Street Hassle de l’album du même nom étant quant à lui un vrai coup de génie, tant pour l’orchestration (beat + cordes classiques) que pour la mise en scène d’un univers urbain glauque à souhait, du Selby avec l’humour noir de The Gift.
Y aurait-il pour autant un lien entre le Lou Reed génie du rock et le Lou Reed maître de tai-chi ? “Certainement, nous assure Laurie Anderson. Lou savait maîtriser l’énergie. Dans sa musique comme dans le tai-chi, il cherchait la même régénération. Une fluidité capable de faire danser aussi bien l’âme que le corps.”
coffret The RCA & Arista Album Collection (17 CD, Sony Music)