En concert à Paris, GAIKA a profité de sa pause Coca pour, entre deux balances, nous accorder un peu de temps. L’artiste londonien au son expérimental et sombre, influencé par son héritage caribéen (Jamaïque et Grenade), a sorti cette année une mixtape très très cool, « Security ».
A la croisée des genres, GAIKA se distingue par son flow unique mêlant l’argot british à la musique caribéenne quand il ne dégaine pas sa vibe made in USA. L’artiste surfe sur le trip-hop, le dancehall et les sons aussi bien industriels qu’organiques, avec élégance et facilité.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Sur scène, c’est avec l’allure de quelqu’un qui vient de tomber du lit que le rappeur originaire de Brixton envoie du lourd. Et pourtant, le concert n’a pas commencé. Jogging délavé et Yeezy aux pieds, il se meut avec prestance et sourire aux lèvres. Le rappeur nous parle de sa deuxième mixtape Security, de son aversion pour le terme « tropical house » et nous explique pourquoi il n’affectionne pas vraiment Justin Bieber et Ed Sheeran.
Comment en es-tu venu à faire de la musique ? J’ai entendu dire que tu étais dans les arts visuels avant.
GAIKA – Je faisais partie d’un club, pour lequel je m’occupais des visuels et où je faisais de la promotion. Je pense que le fait d’organiser des soirées et d’appartenir au milieu m’a poussé naturellement vers la musique. Je n’étais pas prédestiné à être musicien mais, la nuit, après quelques verres, je faisais du freestyle et on me poussait à prendre le micro. Puis j’ai commencé à écrire quelques morceaux. Les gens autour de moi me disaient que c’était une dinguerie alors j’ai continué. Quoi que fasse, j’essaie de faire en sorte que ça soit bien. Disons que je suis tombé dans la musique par la force des choses.
Pourquoi y a-t-il “Easyjet” sur ta description Facebook ?
Je vis un peu partout. Avant même de devenir artiste je voyageais beaucoup. Quand on me demande d’où je viens, je réponds que je viens de partout et je suis partout parce que j’ai vécu à Berlin, Amsterdam, Paris et en Amérique. Je bouge tout le temps, donc être en tournée ne signifie pas grand-chose pour moi. On va dire qu’Easyjet c’est parce que ce sont dans leurs avions que je passe la plupart de mon temps (rires).
Ta musique est pleine de styles différents et de genres qui se croisent : lequel te touche et t’inspire le plus ?
Je ne crois pas aux genres musicaux, ça n’a aucun sens pour moi. La musique est une sorte de fréquence en elle-même qui fait se sentir bien ou mal les gens. Mais c’est probablement dû à mon expérience de technicien son. Et puis parce que j’essaie de sortir des codes, je n’aime pas ce qui est conventionnel. Quand on écoute ce qui se fait en musique on a le sentiment que tout le monde fait la même chose à quelques détails près. Je ne veux pas faire partie de ces gens là, je veux me distinguer.
Il y a quelque chose de sombre dans certains morceaux de Security (Buta feat. Serocee & Miss Red), d’autant que tu écris : “Security est l’exploration de notre peur omniprésente de la mort […] qui provoquerait finalement le sentiment d’insécurité, qui conduit notre désir pour l’amour romantique et les besoins matériels”. Que veux-tu dire ?
Je pense que nous avons tous peur de la mort. Notre contrat avec la société c’est de craindre de ne pas exister et de se sentir dans l’insécurité. Quand on commence à y penser, on n’existe déjà plus vraiment. Et je crois que tout ça est fait pour mieux contrôler les gens, leur faire accepter des choses qui ne sont pas vraiment justes. C’est un peu comme lorsqu’on dit que tout le monde veut être riche et célèbre car c’est un moyen de ne jamais mourir dans la conscience collective… Du coup, on va en club, pour sortir de cette réalité, et se créer son paradis, avec ou sans drogue. Mais, pour moi, ce n’est pas quelque chose de nécessaire.
Je dirai qu’il s’agit de regarder la lumière qui est au bout du tunnel. Tu te focalises sur la sortie et tu oublies le reste parce que tu arrives à te convaincre toi même de ce bien-être. Voilà ce que j’essaie toujours de mettre dans ma musique, ces petits éléments de beauté qui construisent mes mélodies. Security est très intime, toutes les histoires dont je parle sont vraies, ça touche à ce que je suis et à ce que j’aime : le dancehall, le grime, les sons industriels et le clubbing.
Donc toi, tu es un peu le chevalier vaillant de la sécurité ?
(Rires) Non. Ce que je veux dire c’est que tout le monde ressent l’insécurité mais, à quoi bon passer autant de tant à réfléchir sur ce qu’il va bien pouvoir nous arriver ? Essayer de faire en sorte que les mésaventures n’arrivent pas lorsqu’elles ne dépendent pas de nous ? La mort, entre autres, on ne peut pas la contrôler. Donc par rapport à ce que je disais tout à l’heure, autant se concentrer sur la confiance en soi et penser chaque instant comme unique sans se préoccuper de ce qu’il y aura après ou de ce qu’il s’est passé avant.
Security c’est une autre facette de ta personnalité, celle qui veut faire danser les gens. Comment se sont faites les collaborations avec Bipolar Sunshine, Miss Red et les autres ?
Je connaissais tout le monde avant d’enregistrer en tant qu’artiste solo : Trigga, Serocee, August+Us, à l’exception de Miss Red que j’ai rencontrée à Berlin. Et encore, nous avons les mêmes amis, donc j’avais l’impression de la connaître avant. Bipolar Sunshine est un de mes proches amis, il est celui qui m’a plus ou moins incité et encouragé à faire de la musique. On s’est connus quand j’habitais à Manchester et que je faisais de la techno avec des potes. Un jour il m’a dit que j’avais un son unique et que c’était génial ce que je faisais. C’était avant qu’il soit sur un label. Après ça, il est revenu me voir et m’a dit d’arrêter d’être dans l’ombre des autres. Quant à Mista Silva, c’est le frère d’un de mes potes. Mon truc, c’est que je ne me fais pas de nouveaux amis comme Drake peut le faire (Rires).
Les artistes sur Security ont tous quelque chose de particulier, j’avais imaginé leur voix sur les tracks. Je ne suis pas du genre à collaborer avec des personnes que je ne connais pas. Pour moi, ça ne peut pas fonctionner si nous n’avons pas les mêmes références, si nous ne nous connaissons pas un minimum. Last Dance At The Baby Grand, par exemple, parle d’un club où j’avais l’habitude d’aller. Or, August+Us qui est sur le morceau sait de quoi il s’agit parce qu’il était là à mes côtés pendant la soirée. Peu importe l’artiste de la mixtape, ils vont tous comprendre ma musique grâce à notre vécu. Je ne me dis jamais : “Tiens j’ai besoin de tel ou tel artiste pour faire ma pub”, je veux simplement enregistrer quelque chose de bon. C’est pour ça que j’aime travailler avec les personnes avec qui j’ai une véritable relation. On ne fait pas les trucs au téléphone ou par mail : “tiens envoie-moi ça”, jamais. C’est plutôt : “Viens au studio”!
Je fais ce que je fais et si quelqu’un veut être de la partie, et pense que c’est une bonne chose, qu’il vienne, qu’on puisse écrire une chanson. J’ai fait une collaboration avec Mykki Blanco (PUSH MORE WEIGHT), je ne le connaissais pas personnellement mais, ce que j’essaie de dire, c’est qu’il faut au moins appartenir à mon univers.
En parlant de Mykki Blanco, tu seras sur son prochain album ?
Il était à Londres et il est venu dans mon studio. Il cherchait des beats, donc si on est au même endroit au même moment, peut-être que je serai sur l’album, je ne sais pas. J’aimerais, mais pour le moment je me concentre sur mon projet.
Tu as toujours voulu expérimenté le “bashment” (autre nom du dancehall) ?
Oui, et c’est aussi le seul genre musical qui me préoccupe. Ça fait partie de mon éducation musicale, de mon héritage. D’ailleurs, Mavado est mon artiste préféré.
Que penses-tu du retour en force du dancehall dans la pop et le rap ?
D’une certaine manière, je n’ai pas vraiment envie d’appartenir à cette nouvelle vague notamment parce que lorsque j’ai sorti Machine c’était bien avant le titre Sorry de Bieber et puis, je ne fais pas du dancehall pur et dur. Je suis inquiet que les gens m’associent à cette nouvelle vague pop dancehall. Mais, en même temps, je suis content que ça se passe ainsi… Tant que qu’ils n’appellent pas le dancehall de la “tropical house”! Ça ne se fait pas, surtout quand ils modifient les paroles des chansons parce qu’ils ne les comprennent pas. Tant que les gens reconnaissent les origines du genre musical et donnent crédit aux artistes de dancehall ça ne me pose pas de problème. En ce qui me concerne, ça m’étonnerait que ça arrive un jour car la musique que je fais est un peu trop sauvage.
Aussi, les seules personnes avec qui j’aimerais vraiment collaborer même si je ne les ai jamais rencontrés sont Mavado et Popcaan. Je le ferai parce que ce sont des mecs que je trouve fabuleux lorsque je les écoute. Mais ça m’embête quand je vois des artistes comme Bieber et Ed Sheeran dénaturer le bashment. Si tu veux en faire, soit, mais au moins reconnais d’où viennent tes influences !
{"type":"Banniere-Basse"}