Nouvelle sensation de la scène indépendante, « Hyper Light Drifter » n’est pas seulement un hommage à quelques grands jeux du passé comme « Zelda », « Secret of Mana » ou « Diablo ». C’est aussi un voyage sidérant dans un monde aussi étrange que somptueux doublé d’une éclatante démonstration des pouvoirs quasi mystiques du médium vidéoludique.
Il est parfois bon de ne pas savoir précisément où on arrive, ce qu’on est censé y faire et pourquoi ni même qui on est. Et de le découvrir peu à peu, en le ressentant d’abord confusément puis avec davantage de certitude mais sans pour autant être capable de vraiment l’expliquer ni cesser de souffrir discrètement sous un ciel renversant de beauté. Bienvenue dans le monde sans pareil d’Hyper Light Drifter, sensation printanière du jeu vidéo indé fraîchement débarquée sur Mac et PC et dont des versions consoles sont attendues dans le courant de l’année. Pour mener à bien son projet singulier, l’Américain Alex Preston a pu compter sur un passage triomphal (27 000 $ espérés, 645 000 obtenus) sur le site de financement participatif Kickstarter où sa promesse d’un hommage aux action-RPG des années 90 a électrisé les foules nostalgiques. Mais Hyper Light Drifter est beaucoup plus que ça.
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Le premier choc est visuel. C’est une affaire de couleurs, de lumières. Un sol bleu, des arbres au feuillage rose, des verts, des blanc, du sombre, des jaunes. Et puis des silhouettes en gros pixels dont on ignore si elles sont plutôt humaines, animales ou surnaturelles. Ce monde a vraisemblablement connu des drames, des massacres, et ce n’est pas fini. Il y a une histoire de maladie, peut-être, aussi. On n’en est pas sûr car c’est un monde dans lequel il n’y a pas de mots – à part quelques indications de base, purement fonctionnelles, sur le système de jeu. Les personnages que l’on rencontre au cours de notre troublante errance nous parlent par images, par pictogrammes. Celui-ci, un étrange guerrier que l’on croise régulièrement, nous indique des points sur la carte. On va tenter d’aller y voir de plus près. Cela doit cacher un lourd (ou au contraire un merveilleux ?) secret.
Hyper Light Drifter encourage l’exploration, l’expérimentation alors que, du village situé au centre de cette contrée merveilleuse mais comme écorchée, quatre directions possibles s’offrent à nous. C’est aussi un jeu qui sanctionne impitoyablement nos erreurs. Et nous redonne instantanément une nouvelle chance car sa sévérité n’a rien à voir avec du sadisme – on est d’ailleurs en droit d’y voir un cousin dandy 2D de la terrible saga Dark Souls. Pour mieux situer l’expérience Hyper Light Drifter, disons qu’elle se situe à peu près à l’intersection de la série Zelda et de deux phénomènes indés de ces dernières années : Fez et Hotline Miami. De Zelda, il reprend l’idée d’un espace à la fois cérébral, énigmatique et sensuel. On cherche son chemin, on déclenche des mécanismes, on prend des ascenseurs. Comme dans tous les grands jeux vidéo, cela devient quasiment un but en soi – jouer est une fin, pas un moyen. Et puis on affronte des monstres, des bêtes, mais leur dépouille reste et le souffle du vent semble soudain porteur d’une tonalité mélancolique. Alors on pense aussi à Shadow of the Colossus – on a du temps pour penser quand on joue à Hyper Light Drifter, dont les silences engageants ne demandent qu’à se laisser combler par nos rêves en morceaux. Avec Fez, il partage un goût du pixel art et de l’architecture cryptique – entre autres jolies choses. Et avec Hotline Miami, un appel à la stricte planification des cruelles entrées en scène de notre aventurier armé ainsi qu’un tel amour des refrains d’actions que l’on jouirait presque autant d’échouer (et, donc, de pouvoir recommencer) que de réussir. Mais le jeu est loin de se résumer à la somme de ses possibles influences.
Au sommet d’une montagne, un personnage à tête d’oiseau nous montre des images d’incendie. Ailleurs, un chien noir – ou serait-ce un loup ? – apparaît et, d’un mouvement de tête, nous engage à le suivre. Il y a des caves et de la neige, de la verdure et du ciel bleu. Beaucoup de musiques, aussi. Une ambiance trouble, un parfum vague de désolation. Plus tard, on débouche dans une salle à l’allure d’église. Hyper Light Drifter serait-il une sorte, à la fois morbide, terminale et enchanteresse, de messe ? En un sens, oui, car il s’appuie sur une vision du jeu vidéo comme cérémonie, voire comme expérience mystique, qui est également au cœur de titres comme The Witness, Flower ou Journey.
Les choses ont un sens, le joueur est à sa place et quelque chose de beau (ou d’affreux, mais l’horreur peut aussi toucher au sublime) va immanquablement naître de tout ça. Dans ce cadre, la croyance est capitale. Si on en arrive à douter du jeu, à perdre cette foi, cette certitude qu’il mène quelque part, que quelqu’un (une pensée un regard, un cœur,) a entamé avec nous un dialogue dans un langage qu’il ne nous reste qu’à apprendre, le charme se dissipera et tout s’effondrera. Même chose si le jeu lui-même devient illogique, incohérent. Notre degré d’habileté, le rythme et l’assurance avec lesquels on progresse dans l’univers muet et pourtant si évocateur d’Hyper Light Drifter en deviennent très secondaires. Ce qui compte, c’est l’engagement partagé du joueur et des développeurs, pilier du jeu vidéo, cet art parfois majeur. L’important, c’est d’être avec, d’être dedans. La raison et les mots suivront bien assez tôt.
Hyper Light Drifter (Heart Machine), sur Mac et PC, environ 20 €. A paraître sur PS4, Xbox One et Vita
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