La cinéaste féministe Erika Lust, l’auteur des Xconfessions, est de retour sur la toile. En privilégiant cette fois-ci Youtube à Youporn, elle s’amuse à redéfinir le porno. Explications.
Passer de Youporn à Youtube ? C’est le dernier défi, et pas des moindres, de cette diplômée en sciences politiques et grande cinéaste pornographique qu’est Erika Lust.
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L’explicite de l’implicite
En ayant récemment mis en ligne Do you find my feet suckable? sur Youtube, Erika Lust a franchit un cap. Il s’agit du premier épisode d’une série au concept simple : épurer ses habituels courts-métrages pornographiques pour les rendre adéquats aux bienséances inhérentes à la plateforme de vidéos tout public. Totalement dépourvue de sexe, sa fiction peut alors légitimement intégrer un site mondialement populaire, dont les dérivés porn sont légion. Se détachant de Pornhub, Youporn, Xvidéos, Xhamster, Lust fait dans le « mainstream », l’accessible, le populaire. Tout en sachant que les clips de Rihanna ou Jennifer Lopez, jugés acceptables par le tube, sont plus bien « porn » que ses créations…
L’histoire du court-métrage est concise comme un haïku. Un étudiant potasse ses cours et guette sa consœur rousse. Son regard se fixe sur un détail: la studieuse teenager marche pieds nus. Il ose s’approcher d’elle. Ce qui s’ensuit est un équilibre troublant entre la chronique adolescente, le rêve éveillé et l’esthétique pornographique. Le climax de Do you find my feet suckable est celui d’un porn: une démonstration frontale de fétichisme pur, scènes que l’on trouve habituellement au gré des productions japonaises les plus spécialisées, pourvues de descriptifs très spécifiques (#feet, #footworkship, #footfetish). L’obscénité s’arrête au point de non-retour, alors que les jambes féminines s’aventurent vers le bas-ventre. Pas de cumshot ou de poitrine affichée: le sensuel est des plus soft.
Du porno naturaliste
Jusqu’ici, le porno sans sexe, c’était le #foodporn: une représentation de la nourriture à l’esthétique très poussée et sensualiste, qualifié de porn sans en être à proprement parler. A contrario, le plaisir n’est pas gratuit ici. Si ce détournement est très drôle, il sait rester militant. Do you find my feet suckable? magnifie ainsi la notion d’empowerement: c’est l’homme qui agenouillé sous la table se soumet entièrement aux pieds de la femme, acceptant son emprise de simili-dominatrix. D’ailleurs, pour Metro UK, Lust l’affirmait, comme une note d’intention : « l’imagination de la femme est sans limite. Ne sous-estimez pas le pouvoir de l’esprit féminin« .
Faire cette pornographie sans sexe permet de capter la vérité du X. Un pari que la réalité virtuelle (VR) n’est pas vraiment parvenue à concrétiser, avançait la jeune cinéaste pour Vice. De toute évidence, à travers ses œuvres, l’artiste établit une nuance entre le « mainstream » (sa vidéo Youtube, au contenu non explicite, visible par tous) et le « porn mainstream », à savoir une pornographie industrielle, impersonnelle, vite consommable, qui serait également celle du VR:
« Les films en réalité virtuelle que j’ai pu voir pour l’instant sont très, très mainstream et pauvrement faits. Et par mainstream, j’entends cette sempiternelle pauvre fantaisie en silicone que le genre nous vend depuis des années. Du sexe mécanique et des faux orgasmes, pas de passion, aucun contexte, les femmes sont des objets et les mecs des pénis. Bref, il y a encore un long chemin avant que nous ressentions véritablement du plaisir en VR. Si j’en viens à faire des films en réalité virtuelle, je m’assurerai d’y inclure mes propres valeurs: la créativité, le réalisme, la diversité, le plaisir… et la narrativité. »
Pour Lust, purger le sexe du pornographique c’est le rendre plus sexuel que le sexe virtuel, grâce à l’efficacité de la narration. Cette narration confère à la pornographique le naturalisme qui lui manquait. Situation familière, sentiments humains indissociables de la relation nouée entre les corps, complicité entre les acteurs : tout doit sonner vrai. Amoureusement, la réalisatrice associe le cinéma X aux songes d’étudiants s’ennuyant durant leurs révisions, un discours que l’on imagine à la lisière de l’autobiographique. A l’image du pied de l’actrice/poétesse Amarna Miller ici magnifié par la caméra, ce cinéma d’auteur est très fétichiste, s’attardant sur les détails qui confèrent à l’habituel sa dimension charnelle.
Une ambition de cinéaste que Lust a toujours mise en avant: “l’importance d’un point de vue féminin, et les détails, les détails et encore les détails, comme les yeux dans les yeux, la chair qu’on agrippe, les petits bruits”. Par ces détails se confondent érotisme et pornographie. Surtout, c’est un twist ending éloquent qui illustre la théorisation du X selon Lust: finalement, la pornographie n’est définie que par le spectre de notre subjectivité. Un discours qui était déjà celui d’Andrew Blake, le parangon du genre « porno-chic », lorsqu’il affirmait à la bloggeuse Violet Blue: « Mes films ne parlent pas de la réalité, ils parlent de ma vision de la réalité« .
Vers une pornographie pour tous
Depuis quelques années déjà, Lust encourage sur les réseaux sociaux ses fans à partager leur anecdotes érotiques personnelles. S’inspirant de ces confessions, elle finit par les mettre en scène. Le quotidien devient alors un film porno. En l’intégrant à l’ultravisitée plateforme Youtube, il s’agit de l’affirmer: en 2016, la pornographie n’est plus un tabou. Perçue avec finesse et dépourvue de tout « money-shot » traditionnel, cette ex-contre-culture, désormais féminisée, unit les sexes (la distinction hommes/femmes) mais est également capable de rassembler tous les publics, consommateurs réguliers de contenus explicites comme néophytes curieux.
Cette pornographie pédagogique incite au dialogue, à l’aveu de ses fantaisies et à la découverte de son corps. Volonté d’éducation sexuelle et d’initiation affirmée au bout de quelques secondes, dès la présentation du cadre: une bibliothèque universitaire… Hasard des dates, alors que la réalisatrice mettait en ligne son film, un article Buzzfeed nous racontait « pourquoi j’ai choisi de partager du porno avec d’autres femmes« … en mettant en avant, évidemment, la qualité des films d’Erika Lust. Et si la pornographie sans sexe permettait tout simplement de mieux en parler – du sexe ? Rien n’est moins sûr, nous susurre in fine la journaliste :
« Quand j’ai partagé les Xconfessions d’Erika Lust, nous avons pu en discuter le lendemain, ouvertement, tout en témoignant à quel point il est compliqué de parler à la plupart des gens du plaisir sexuel. Même nos amis autoproclamés libéraux et éduqués se retrouvaient plongés dans l’obscurité dès qu’il s’est agit de parler de la vérité à propos de la masturbation féminine. Dans le fait de résister à la logique qui nous incite à être inquiétés par le porno, il y a quelque chose de profondément puissant. Je trouve cela beau. »
https://www.youtube.com/watch?v=EkvN0mgFenc
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