Entre novembre 1968 et août 1969, un magazine nommé “Provoke ” a révolutionné la photographie au Japon. Devenu culte, le magazine est le centre d’une histoire reconstituée par l’exposition “Provoke : Entre protestation et performance ”.
En seulement trois numéros, les photographies et les textes de Provoke ont signé la rencontre de la protestation politique et des arts de la performance. Quatre institutions – le Bal à Paris, le musée Albertina à Vienne, le Fotomuseum de Winterthur et l’Art Institute de Chicago – se sont associées pour une exposition d’envergure. Le Bal choisit de prendre les choses à l’envers et de devancer l’exposition prévue pour cet automne en présentant le catalogue – une somme de plus de 600 images, de textes d’artistes, d’entretiens et d’analyses – dans le cadre de la Book Week qui s’ouvre ce soir.
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La scène artistique du Japon des années 1960 et 1970 reste peu connue. Une plongée dans cette histoire ressemble à la lecture des premières pages d’un roman russe : les protagonistes ont des noms difficiles à retenir. Ceux de Provoke restent heureusement peu nombreux : trois photographes, Takuma Nakahira, Yutaka Takanashi et Daidō Moriyama (actuellement exposé à la Fondation Cartier), un critique, Koji Taki et un poète Takahiko Okada. L’exposition Provoke : Entre protestation et performance, actuellement au Fotomuseum Winterthur, et le catalogue tripartite manifestent de façon remarquable l’entre-deux dans lequel se situe Provoke – entre politique et art. La section consacrée au magazine se situe littéralement entre une première partie consacrée à la photographie de protestation et une troisième, illustrant la teneur de la photographie de performance des années 1960 et 1970.
Le produit d’une ère politique
Le photographe Takuma Nakahira définit Provoke comme « le produit d’une ère politique », celle des années 1960 autrement appelées les Golden 60’s. Le Japon connaît alors une croissance économique sans précédent qui s’accompagne d’une crise socio-politique. Des protestations contre la dépendance aux Etats-Unis se cristallisent en 1960 suite au Traité de sécurité entre les États-Unis et le Japon, marquant le début de dix années de contestation réunissant activistes environnementaux, étudiants, fermiers et travailleurs.
La photographie devient un formidable medium de contre-journalisme. Entre 1960 et 1975, environ quatre-vingts « livres de protestation » sont publiés par des étudiants, des syndicats, des artistes et des photojournalistes. Véritable instrument de représentation et de diffusion de leur lutte, la photographie au sein de ces ouvrages – dont on découvre une large sélection dans Provoke : Entre protestation et performance – renouvelle la forme documentaire en adoptant une esthétique abstraite et floue, accentuée par la pauvreté des moyens.
Les créateurs de Provoke s’inscrivent dans cette photographie contestataire tout en rejetant toute photographie de manifestation. Ils développent une esthétique « brute, floue et granuleuse » (are-bure-boke), une photographie sans nuance de gris, où le blanc brûlé tranche avec le noir rappelant l’asphalte. Leur expérience subjective est restituée par des vues instantanées, rapprochées, et non cadrées. Une même volonté les réunit, rompre avec l’objectivité et « donner forme au contingent et à l’éphémère ». Aucune hiérarchie n’est établie entre les photographes, de manière délibérée aucun n’est mis en avant, reproduisant l’ »organisation démocratique » des groupes de protestation.
Vers une photographie performative
A Tokyo, le district de Shinjuku devient, dans les années 1960, le lieu de rendez-vous de la performance et du théâtre underground. Les artistes sollicitent la participation du spectateur, et la performance devient manifestation politique et inversement – phénomène que connaissent aussi New York et Vienne. Provoke s’imprègne de l’émergence des arts performatifs. Yutaka Takanashi et Daido Moriyama prennent en photo les troupes de théâtres de Terayama et de Hijikata. D’autres photographes influencés par Provoke comme Eikō Hosoe collaborent avec des danseurs et des collectifs tels que Hi Red Center utilisent la photographie pour documenter leurs performances. Si cette dimension performative de la photographie résiste à une définition claire, les auteurs de Provoke : Entre protestation et performance réussissent à traduire la puissance de cette photographie, son implication politique et son rôle avant-gardiste.
La photographie des années 1960 et 1970 n’apparaît pas uniquement comme « le produit d’une ère politique » mais comme une formidable expression politique. Il s’agissait de forger un nouveau moyen d’expression, comme si le langage et le journalisme prévalant jusque là ne pouvaient plus rendre compte de la réalité. C’est ainsi que les créateurs de Provoke le formulent dans leur manifeste :
« En tant que photographes, nous devons capturer avec notre propre regard des fragments de cette réalité qui ne peut plus être saisie par le langage existant, et nous devons activement promouvoir les matériaux permettant de traduire le langage et les idées. C’est pourquoi nous avons été assez audacieux pour donner à Provoke le sous-titre ‘Matière à provoquer la pensée’. »
Voici un extrait de cette matière tirée des livres de protestations, des numéros de Provoke et de la photographie de performance :
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