Souvent moqué par les amoureux de la première vague, l’engouement pour Berlin et sa culture undergound ont encore de nombreuses raisons d’être. Et de petits labels cosmopolites redorent son blason. Présentations.
Une ville toujours stimulée par la techno et un tourbillon ininterrompu de soirées. Voilà l’image que l’on garde de Berlin depuis les années 2000. Une effervescence qui pousse des gens du monde entier à venir poser leurs valises dans la capitale allemande pour tenter de participer à cette scène et d’y laisser leur empreinte.
Bouillon de cultures
Souvent cataloguée « capitale de la techno », la métropole exerce une force centrifuge sur les clubbers et les musiciens électroniques du monde entier. Alors certes, ce flux incessant de gens venus expérimenter une nuit vantée pour son caractère alternatif entraîne une commercialisation du clubbing. Et nombre d’acteurs de la nuit soldent l’héritage de la ville au profit de la rentabilité. De son côté, la police mène depuis une poignée d’années une politique anti rave parties draconienne. Mais dans le même temps, il faudrait être aveugle et sourd pour ne pas s’apercevoir que ce brassage culturel continue à enrichir la scène locale. Avec autant d’influences diverses que ses protagonistes ont de pays d’origine.
C’est en grande partie ces « étrangers » (ne comptez pas sur nous pour utiliser le terme expat’ dans cet article) qui redorent le blason de l’underground dans la ville. Alors que le label allemand emblématique du Berghain, Ostgut Ton, s’illustre par une certaine monotonie dans la (bonne) techno industrielle martiale qu’il promeut, les labels PAN (monté par le Grec Bill Kouligas) et Stroboscopic Artefacts (par l’Italien Lucy) creusent des veines plus expérimentales et livrent certaines des plus éclatantes expressions des musiques électroniques d’aujourd’hui.
Des labels précaires mais récalcitrants
En dehors de ces deux institutions, aujourd’hui connues et reconnues, de tous petits labels cosmopolites produisent de la musique de qualité en veux-tu en voilà. Et ce, malgré un triple handicap. Le premier est résumé par Michael Aniser, patron autrichien du label hardi Noisekölln Tapes, par une formule lapidaire : « il n’y a pas d’argent dans l’underground« . Le deuxième : ces musiques dites « de niche » passent sous le radar de la plupart des médias. Pour Jules Peter, le boss français du label Unknown Precept, « l’enjeu aujourd’hui pour ces structures, c’est la visibilité« . Enfin, l’industrie de la techno est verrouillée à Berlin. C’est du moins le point de vue du Français Julian Melka-Müller, à la tête du jeune label Initial Berlin :
« Les distributeurs chargés de faire la promotion des vinyles nous ont proposé des tarifs aberrants parce qu’on n’avait pas un nom connu. Aujourd’hui, la plupart des labels qui fonctionnent ici sont montés par des gens qui appartiennent déjà à la scène. Au niveau des agences de booking et des salles, ça a toujours bloqué pour la même raison : parce qu’on n’était personne. »
Précaires mais dotées d’un fort esprit de résistance, ces microstructures disparates se retrouvent sur des pratiques do it yourself de bricolage de qualité et de fait main. Toutes organisent des soirées dans des clubs en marge du circuit clubbing touristique traditionnel, dans de nouvelles boîtes de nuit telles que le OHM et le Griessmühle. Quelques unes ne sont pas estampillées d’un numéro puisqu’elles ne sont pas enregistrées à la GEMA (version allemande de la SACEM). Les héros locaux de la web radio Berlin Community Radio donnent une visibilité à cette scène dans l’ombre.
Ich bin ein Berliner
Loin de se limiter aux sphères de la techno au rythme en 4/4, facile à mixer et calibrée pour le dancefloor, ces labels parcourent un vaste spectre qui s’étend de la synth wave (l’Italien Mannequin, le Greco-Anglais Giallo Disco Records, le Français Girouette Records) à l’acid et l’EBM perchées (le Californien Saskian Recordings), en passant par une electro hypnotique de haute tenue (le Grec Nous) et une techno machinique et lo-fi, hantée par les fantômes de l’industrielle (le Français Unknown Precept).
Si les tenanciers de ces maisons sont issus en majorité d’Europe et des Etats-Unis, certains proviennent de lieux en dehors des assises occidentales. On peut citer le label de techno sombre et cérébrale Bedouin Records, basé dans le désert de Dubaï mais qui entretient de fort liens avec la capitale allemande. Toutes affichent par ailleurs un roster hautement international. Un exemple : Morphine Records, le passionnant label du Libanais Rabih Beaini alias Morphosis, met un point d’honneur à dénicher des artistes issu d’un peu partout autour du globe, réunis pour leur appétit pour l’expérimentation et l’improvisation (la californienne Pauline Oliveros, le Français Pierre Bastien, le duo indonésien Senyawa).
Sur leurs profils Discogs et Resident Advisor, presque tous ses labels cosmopolites et hétéroclites se revendiquent de Berlin. A croire que la capitale officieuse de la techno n’a toujours pas dit son dernier mot.