Le film de Michael O’Shea suit l’errance, mélancolique et carnassière, d’un jeune homme noir fasciné par les films de vampires…et qui en est peut-être un.
On est d’abord frappé par le comédien principal, Eric Ruffin, jeune et noir. Son corps râblé, ses yeux et son visage ronds, son regard désaffecté, son style économe et introverti impriment d’emblée l’écran. Il est ici Milo, un jeune vivant avec son grand frère (les parents sont décédés) dans une banlieue ghetto comme il en existe des millions aux Etats-Unis et dans le monde.
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Un vampire en jeans et baskets
A l’évidence, Milo est différent : il n’a pas de copains, se fait chahuter par la bande qui traîne en bas de chez lui, semble de rien ressentir à un âge où normalement, les hormones sont en feu. Surtout, la nuit, Milo commet des crimes très sanglants, sans paraître non plus y prendre un quelconque plaisir. En fait, comme dans le Only lovers left alive de Jim Jarmusch, Milo est un vampire, un vampire en jeans et baskets qui ressemble à n’importe quel jeune du coin de la rue. Belle idée que d’avoir fondu ensemble deux mythologies: celle, imaginaire, des suceurs de sang, et celle, réaliste, de la jeunesse ethniquement minoritaire. Une idée tricotant ainsi toutes passerelles communes à ces deux « espèces » réprouvées, de la métaphore sexuelle au séparatisme irréductible d’avec le monde normé des adultes plus communément appelé « société ».
Milo collectionne les vidéos de films de vampires et regarde des images d’abattoirs sur internet. Il croise un jour une jeune voisine en rupture familiale qui s’éprend peu à peu de lui, de son originalité, de son mystère. Elle sait seulement qu’il a une grande culture vampiresque, pas qu’il en est un. Elle lui vante les mérites de Twilight, il réplique en l’emmenant au ciné voir Nosferatu, contredisant une prophétie de Truffaut (« un jour, il y aura des cinéphiles qui n’auront jamais vu un film de Murnau« ). C’est beau et très émouvant, puisqu’entre eux, l’histoire d’amour est impossible : il risquerait de lui trancher mortellement le cou et il le sait. Michael O’Shea a justement voulu prendre le contrepied de Twilight et des clichés du genre. Il signe un film de vampire « réaliste », tenu, dépourvu de frime, ancré dans l’urbanité américaine d’aujourd’hui, sans gousses d’ail ni château transylvanien ni incompatibilité avec la lumière du jour, porté par les remarquables Eric Ruffin (petit bloc marmoréen) et Chloe Levine (toute en séduction et fantaisie).
Moins romantique et dandy que Jarmusch, O’Shea mène son film vers une issue un peu trop politiquement correcte où la transfiguration romanesque est finalement vaincue par le réel. C’est dommage, mais ça ne retire rien au sentiment d’avoir découvert un film singulier, de beaux comédiens et un bon cinéaste.
Transfiguration de Michael O’Shea (USA). Avec Eric Ruffin, Chloe Levine. Un Certain Regard.
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