Cette édition ne saurait ignorer les revendications sociales qui agitent le pays. Sans oublier sa vocation première : révéler des films exigeants, eux aussi en prise avec le monde.
Il y a dans la longue histoire du Festival de Cannes une scène primitive qui a chevillé à jamais son histoire à celle de l’actualité politique et sociale française : l’annulation de la manifestation en mai 68, quelques jours après son inauguration, à la suite d’un appel et d’actions de professionnels du cinéma, par solidarité avec les mouvements de grève générale qui embrasaient la France.
Sans forcément remonter à ces temps héroïques, le Festival a souvent su, plus modestement, ne pas rester sourd aux différentes tensions qui agitaient l’extérieur de cette bulle, dont le cœur est consacré par l’art du cinéma le plus exigeant et la surface, plus clinquante, occupée par un déploiement massif des industries du luxe et les puissances de l’argent.
Quelques jours après une Cinémathèque occupée
Il est à espérer que le Festival saura aménager des espaces de visibilité aux revendications sociales qui animent aujourd’hui la France, avec comme poumon la place de la République et le mouvement Nuit debout – comme il a su le faire dès la conférence de presse à Paris le mois dernier, en permettant à une délégation d’intermittents de prendre la parole avant l’annonce de la programmation.
On ignore si des actions sont prévues pendant le Festival. Mais elles paraissent plus que prévisibles, quelques jours à peine après une occupation de la Cinémathèque française qui s’est soldée par l’intervention de CRS – découvrir sur Periscope, filmée par Rémy Buisine, l’extraction de ce temple national du cinéma par les forces de l’ordre de ces jeunes gens, tandis que scintillait, impavide, écrit au néon jaune sur une paroi de l’entrée, “Gus Van Sant, exposition”, était un spectacle assez poignant.
Mais c’est aussi à l’intérieur des salles qu’on attend du Festival de Cannes qu’il fournisse des outils de compréhension, voire d’intervention, face au durcissement du monde du travail, au délitement des solidarités sociales. Des films, nous ne savons encore que peu de choses, mais dans les pages suivantes nous vous parlons de ceux que certains ont déjà vus et aimés (dont la farce flamboyante et féroce de Paul Verhoeven, Elle).
Juste la fin d’un monde moins injuste ?
Et puis il y a les titres des films programmés, sur lesquels il est permis de rêver. Rester vertical, c’est celui du nouveau film furieusement attendu d’Alain Guiraudie (trois ans après le génial Inconnu du lac). Rester vertical, un beau programme, riche de polysémie et de promesses en jaillissements de toutes sortes, qui résonne sans le vouloir avec la position prônée par le vocable Nuit debout.
Juste la fin du monde, annonce le film de Xavier Dolan (sur lequel nous reviendront longuement dans le prochain numéro). Juste la fin du monde ? On ne veut évidemment pas croire qu’on en soit là. Mais on attendra, cette année plus encore, de Cannes et du cinéma qu’ils concourent au difficile acheminement vers un monde en tout cas moins injuste.