Comme Radiohead, Foals incarne une certaine idée du rock expérimental anglais. A l’heure du périlleux second album, le groupe d’Oxford a choisi de s’isoler, frôlant la folie pour accoucher dans la douleur d’un grand moment de volupté.
Mi-février. On vient de poser pour la première fois les tympans sur le nouvel album de Foals, dans le studio londonien de Nellee Hooper (Massive Attack, Soul II Soul, Björk…), sur des enceintes balèzes comme un stade de foot, les ballons tout à fond. On a le popotin encore violacé de la violente fessée qu’on vient de recevoir. Total Life Forever n’est pourtant même pas encore bouclé, il reste quelques décisions à prendre, des fignolages ici ou là, le mixage n’est pas achevé.
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Instant idéal pour rencontrer Foals : les ciboulots des Anglais n’ont pas eu le temps de refroidir, de quitter le tourbillon obsessionnel de la création, de formaliser un discours qui, interview après interview, les fera immanquablement sombrer dans les automatismes rodés et les réponses écrémées. On découvre une sorte de ruine, une ruine optimiste mais encore fumante : les garçons restent adorables, mais sont visiblement lessivés. “Physiquement, nous sommes dans un sale état, explique le guitariste Jimmy Smith. Totalement épuisés, mentalement très usés.”
On comprend à demi-mot le soulagement que constitue pour eux la fin d’un processus qui n’a apparemment rien eu d’une aimable récréation mais a plutôt ressemblé à un tour de montagnes russes sans ceinture au bord du plus noir des précipices. C’est l’un des vieux mythes du rock et du roll. Les anglophones appellent ça le “second album syndrom”.
En l’occurrence, un premier album, Antidotes, sort après quelques singles et concerts qui avaient fait du groupe un espoir en or. Il a évidemment été écrit sur plusieurs années. S’ensuivent les tournées sans fin, les nuits sans sommeil dans les tour bus, l’ennui intersidéral de l’attente dans le vide d’une salle de concerts en pleine journée, les excès, les soirées, les drogues parfois, l’alcool souvent. Les corps usés finissent par lâcher, les esprits confus finissent par casser leur ressort au moment même où il faut penser à la suite.
“Je me souviens d’un moment particulier, à la fin de ces tournées, raconte le complexe frontman Yannis Philippakis, dont les mots semblent ne passer des synapses à la langue qu’après sept mille circonvolutions torturées. Les concerts étaient de plus en plus violents, et je pensais à tous ces groupes qui se plaignent toujours de l’épuisement que provoquent les voyages sans fin. Je me disais au contraire que je me sentais super bien, mieux que jamais. Mais en rentrant chez moi, j’ai compris que j’étais passé de l’autre côté de la barrière : sincèrement, je n’étais pas loin de faire du diable mon meilleur ami. Si une tournée est une forme d’évasion, quand tu es en tournée, tu essaies aussi de t’en échapper et de revenir à l’endroit dont tu t’échappais au départ… C’est vicieux. Quand tu reviens, tu te dis que le trajet a été long pour faire très peu de chemin.”
En plein carton, déjà de la frustration : c’est le carburant des grands groupes, et la qualité première d’une formation dont on a tout de suite subodoré les immenses exigences. La frustration avait d’ailleurs déjà bouffé le groupe comme un cancer lors de l’enregistrement d’Antidotes, conçu lui aussi dans la souffrance avec le pourtant génial Dave Sitek (TV On The Radio, Scarlett Johansson, Yeah Yeah Yeahs…).
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