Avec le documentaire Paris Is Voguing, la réalisatrice Gabrielle Culand rend un hommage vibrant et intime à la communauté voguing parisienne.
Ce n’est un secret pour personne : depuis une poignée d’année, le voguing – cette danse communautaire, black, latino et queer, qui a secoué le New York des années 80 sur fond de house music, de clubbing, de drogues et de sida avant d’être récupérée par la culture pop – fait son grand retour du côté de la hype, et pour une fois Paris est aux premières loges de cette renaissance.
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Depuis le début des années 2010, après avoir germé dans les lieux les plus confidentiels de Paris, le voguing s’est imposé des périphéries vers le centre de la capitale, tout en s’ancrant profondément dans la nuit parisienne. Du Social Club aux soirées Mona à la Java, du Freestyle Festival à la Villette au Wanderlust en passant par l’immense espace du Carreau du Temple, le voguing est désormais partout.
Les magazines tendance ont fait leurs choux gras de ces célébrations au second degré des gimmicks de la mode, la Red Bull Music Academy a consacré au genre une fiction courte et léchée dans le cadre de « Paris Now ! », la Boiler Room de Paris vient de lancer une série de cinq mini-docus en hommage à la scène parisienne… Et l’inconscient collectif est nourri, le plus souvent sans le savoir, de voguing au travers de Beth Ditto, la chanteuse de Gossip, de F.K.A Twigs qui a beaucoup observé le mouvement, jusqu’à Beyoncé qui balance ses cheveux comme les plus grandes stars du voguing.
Surmonter la méfiance de la communauté
C’est cette renaissance qu’a décidé de documenter Gabrielle Culand avec Paris Is Voguing, dont le titre rend hommage au Paris Is Burning, le documentaire culte de Jennie Livingston, qui, au début des 90, a saisi au plus près l’acmé de cette danse née dans les années 60 et qui n’a jamais cessé de naître et renaître. “Lorsque je vivais à New York, je suis sortie pendant quatre ans avec un DJ spécialisé dans la cosmic-music, raconte la réalisatrice, c’est lui qui m’a fait découvrir le mouvement, m’a fait regarder pour la première fois Paris is Burning, m’a présenté des danseurs… Je suis tombée très vite amoureuse de cette communauté.”
Revenue à Paris, elle tombe par hasard sur des voguers lors d’une soirée au Djoon où joue la légende de la house Theo Parrish. Elle y croise pour la première fois Lasseindra Ninja, jeune travesti guyanais haut en couleur qui se bat pour imposer le voguing à Paris et fédérer une scène balbutiante. C’est le déclic, elle décide de filmer au plus près cette communauté en construction et prête à faire sa révolution sur le dancefloor. Une communauté méfiante et difficile à pénétrer dont elle mettra du temps à se faire accepter.
« Les voguers sont très soucieux de l’image qu’ils renvoient et qu’ils ont patiemment construite, ils se méfient de toute récupération, d’autant plus que je suis une fille, hétérosexuelle et blanche de surcroît, explique Gabrielle, ils avaient d’abord besoin de comprendre pourquoi je faisais ça, au départ certains me réclamaient de l’argent, me demandaient ce que je pouvais apporter au mouvement. J’ai pris mon mal en patience et adopté une approche quasi anthropologique. A force d’être à leurs côtés, de les suivre, de s’intéresser à leur histoire, de les accompagner dans leur intimité, ils ont finit par m’accepter comme une des leurs. »
Un refuge et une fierté
Né dans les années 60 – en réaction, dit la légende, aux concours de beauté où les peaux colorées n’étaient jamais récompensées – le voguing va progressivement pousser l’idée de beauty contest un cran plus loin en y ajoutant des figures de danse excessivement chorégraphiée et stylisées, mais aussi un discours sous-jacent, socialement et sexuellement engagé, qui puise ses racines dans la culture camp. Organisée en houses – portant le plus souvent le nom d’une maison de couture et régie par une “mother” et un symboliques – la communauté voguing est à l’époque le refuge de centaines de jeunes kids black et latinos poussés à la rue, ou la prostitution, par leur homosexualité et qui y trouvent à la fois un refuge et une alternative, une fierté, et une identité, mais surtout une nouvelle famille.
Des familles – les house – qui s’affrontent lors de gigantesques balls où il s’agit de rejouer les pauses sophistiquées (et le lifestyle qui lui colle au corps) des mannequins qui font la couverture des magazines de mode, mais aussi des stars de la soul ou de figures historiques comme Cléopâtre.
La force du Paris Is Voguing de Gabrielle Culand, est justement de s’être affranchi de la longue histoire du mouvement et d’avoir évité le piège de l’hagiographie. Trois ans durant, elle a ainsi suivi les principaux acteurs du voguing parisien, et sa caméra s’infiltre partout, au plus près des corps et au plus profond de ces compétitions bigger than life où se concentrent toutes les obsessions de notre époque : la mode, la célébrité, le gender, l’empowerment, la musique, le racisme… Mais, au delà de toutes ces pirouettes impressionnantes et de ce déluge de costumes, c’est surtout lorsque la caméra de Gabrielle se pose, et qu’elle tend l’oreille vers le quotidien de ces jeunes blacks et rebeus, gay et transsexuel(le)s, et pour qui les balls sont un chemin vers l’émancipation, bref une manière de sortir de leur chrysalide, que le documentaire touche au sublime.
Paris is Voguing de Gabrielle Culand, diffusion le lundi 9 mai à 23h30 sur France 4.
Deep Burnt : Vogue in Paris, Pt.1 / BoilerRoom
https://boilerroom.tv/video/vogue-in-paris-pt-1/
Romain Cieutat : Realness with a Twist pour la RBMA (Red Bull Music Academy)
http://daily.redbullmusicacademy.com/2015/10/paris-now-series
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