Dans le roman sexy et désenchanté de Larry McMurtry, un misfit dérive dans l’Ouest des 70’s. À la redécouverte d’un écrivain déroutant.
Immensément populaire aux Etats-Unis, Larry McMurtry reste, vu de France, un écrivain inclassable. Un écrivain réfractaire à la rigueur et capable de bévues littéraires aux dépens de sa propre oeuvre – en témoignent les quatre suites décevantes qu’il jugea bon de donner à La Dernière Séance (le chef-d’oeuvre de 1966 dont Peter Bogdanovich tira au cinéma un admirable poème en noir et gris dépressif en 1971) ou les deux prequels de Lonesome Dove (son autre chef-d’oeuvre, qui valut à Robert Duvall d’étrenner au petit écran le rôle de cow-boy vieillissant dans lequel il s’est depuis spécialisé) –, mais un écrivain attachant, dont la parution d’Et tous mes amis seront des inconnus vient aujourd’hui éclairer la personnalité atypique.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Avant de devenir un titre de roman, (My Friends Are Going to Be) Strangers fut un standard de la musique country, de la ballade désillusionnée et de l’errance amoureuse. Cette dérive et ces désillusions se retrouvent au coeur du livre, qui, écrit à une époque charnière de la culture américaine, en reflète toutes les incertitudes.
À ce moment où les utopies sixties se diffusent encore, mais sur un mode de plus en plus mélancolique – dans l’esprit du héros Danny Deck, toutes les valeurs vacillent simultanément. En passe de publier son premier roman, ce Texan rêveur succombe aux sirènes de l’Ouest, se retrouve en rade à San Francisco (où les fantômes de la beat generation lui font faux bond), paumé à Hollywood (où un producteur s’apprête à dénaturer son livre), déboussolé chez les hippies (où l’ingestion de sablés hallucinogènes ne fait rien pour lui remettre les pieds sur terre), et temporellement déphasé à la frontière mexicaine (où son oncle nonagénaire attend chaque soir l’improbable retour d’Emiliano Zapata).
Chemin faisant, McMurtry capture l’air du temps – une voisine sexuellement prédatrice évoque l’Anne Bancroft du Lauréat, tandis que deux Texas Rangers racistes et homophobes rivalisent de brutalité avec les rednecks d’Easy Rider – et fait de son narrateur l’un des misfits auxquels l’Amérique du début des années 70 doit quelques-uns de ses plus beaux personnages de Celluloïd et de papier.
Trop sentimental pour pleinement savourer la révolution sexuelle, trop bouseux pour la Californie et trop chevelu pour le Texas, Danny est voué à errer à travers des espaces aussi bien géographiques qu’intérieurs, cette bougeotte du personnage reflétant celle d’une plume imprévisible. Comédie érotique, requiem pour le western et plongée finale dans le désarroi existentiel nourrissent ainsi un road novel où s’harmonisent tous les registres de l’écriture de McMurtry, faisant d’Et tous mes amis seront des inconnus l’un des meilleurs romans de cet écrivain à la muse vagabonde.
Bruno Juffin
Et tous mes amis seront des inconnus (Gallmeister), traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Laura Derajinski, 330 pages, 23,70 €
{"type":"Banniere-Basse"}