En plein marasme économique et entre deux éruptions volcaniques, l’Islande a trouvé sa pilule du bonheur : la pop flamboyante de JÓNSI, voix céleste de Sigur Rós, à écouter à Paris début juin.
Ces deux dernières années, un ouragan de récession a frappé de plein fouet l’Islande, plongeant son économie dans la crise et ses artistes dans la crise de rire. Loin de plomber l’imagination, ce naufrage national a provoqué un surprenant geyser d’opulence et d’euphorie chez les musiciens islandais, de Múm à FM Belfast, de Sin Fang Bous à Hjaltalín. Le gaz hilarant a même contaminé Jónsi, le chanteur de Sigur Rós, enfermé jusqu’à présent dans son image de créature céleste en papier de soie, qu’une simple pichenette ferait trébucher.
A la source de ce malentendu, la musique de Sigur Rós, nimbée de nappes de brouillard, laisse surgir une voix en apesanteur, aussi asexuée qu’un ange. Cette voix, elle appartient à Jón Thór Birgisson, connu pour jouer de la guitare avec un archet et pour chanter parfois dans une langue de sa propre invention, le hopelandic, ou vonlenska, mot-valise qui fusionne espoir et un phonème islandais. Pour faire plus simple, il utilise son diminutif, Jónsi, et on lui dit merci (takk, en VO – la langue islandaise est une montagne infranchissable ; pour preuve, le cinquième album de Sigur Rós répondait au doux nom de Med Sud í Eyrum Vid Spilum Endalaust (2008). Depuis, le groupe s’est fait discret, les trois autres membres en profitant pour devenir papas).
Pendant ce temps, le stakhanoviste Jónsi a décidé de pouponner l’album solo qui lui trottait dans la tête depuis un bon moment. “Je voulais m’embarquer dans un album acoustique, minimaliste. Je ne sais pas ce qui s’est passé, mais le résultat est tout le contraire”, ricane-t-il. Pour tenir tête à l’austérité et à ses ravages, Jónsi positive : “Sur le long terme, je pense que cette crise aura des effets positifs, même si, en ce moment, l’inflation rend la vie quotidienne difficile en Islande. Nous étions trop devenus une société de consommation. La crise va amener un retour au strict nécessaire qui devrait servir la création, les perspectives d’avenir.”
Il mène ainsi le combat avec sa meilleure arme : le songwriting. Dès l’été dernier, il dévoile Riceboy Sleeps, un album instrumental délicatement élaboré avec son boyfriend américain Alex Somers (à qui l’on doit la plupart des visuels sublimes de Sigur Rós). Continuant d’ignorer la dépression actuelle, il se met ensuite à composer de la pop orchestrale, dont l’insouciance narquoise éclabousse les neuf chansons de Go. Sur ce premier vrai album solo, Jónsi sort du crachin pour fanfaronner sur l’arc-en-ciel, à dos de libellule – une voie déblayée sur le dernier album en date de Sigur Rós, qui le rapprochait déjà des compositions illuminées de Sufjan Stevens et d’Owen Pallett.
Cette récréation sied donc à merveille à son humeur de Zébulon, qui fait triompher la légèreté sur le marasme dans un climat étrange. Il s’emballe en évoquant l’oeuvre d’Henry Darger : “The Story of the Vivian Girls mélange l’innocence des jeunes héroïnes, la violence de leurs combats contre les forces du mal et leur apparence très bizarre de fillettes nues avec de petits pénis.” Quelqu’un pointe son nez dans la pièce pile au moment où il prononce ces derniers mots. Quelques secondes de flottement, et c’est l’hilarité qui l’emporte sur l’embarras, alors qu’on l’aurait imaginé piquer un fard. “Les conflits permanents entre des ambiances contradictoires me parlent beaucoup”, explique-t-il, le fou rire passé.
Cette fascination pour les pôles opposés trouve évidemment sa source sur sa terre d’origine, l’Islande. De ses panoramas stupéfiants, la musique de Sigur Rós a déjà tout dit, surtout dans ses extrêmes : le grondement du magma qui se mêle au clapotis des cascades, ces espaces infinis contenus dans une si petite superficie, le ballet des icebergs à deux pas de prairies féeriques où les lutins se camouflent parmi les lupins. Ces spectacles à la fois inhospitaliers et prodigieux rejaillissent tout au long des albums de Sigur Rós, des éruptions soniques aux déluges de cordes. “Certains morceaux de Go auraient pu coller à l’environnement de Sigur Rós, notamment les plus calmes, qui flottent sur des arrangements de cordes. Mais la plupart sont à rebours de la musique du groupe, plus foufous, plus rythmés.”
Autre différence majeure sur Go : Jónsi chante sept des neuf chansons en anglais. On le sait parce que c’est lui qui le dit, mais il faut avouer que les paroles sont toujours aussi incompréhensibles. “Au début, j’étais réellement terrorisé par mon accent, mais c’était intéressant d’aller là où on ne m’attendait pas. Ecrire en anglais s’est révélé assez compliqué mais passionnant : cette langue se prête mieux au sens large, alors que l’islandais s’attarde plus sur le détail. L’anglais m’a permis d’aborder des notions plus universelles.” En tendant bien l’oreille, on parvient à déchiffrer des bribes de paroles sur l’ouverture de l’album, Go Do : “Va chanter trop fort, brise ta voix, crie, provoque un tremblement de terre.” Jónsi semble avoir suivi ses propres conseils à la lettre.
Concerts : Le 7 juin à Paris (Bataclan), le 28 août à Saint-Cloud (Rock en Seine)