Bowie et Prince, deux immenses disparus de 2016, avaient beaucoup en commun, même si l’un s’adressait à la tête et l’autres aux fesses.
Le 25 mars dernier à Toronto, pour l’un de ses derniers concerts, Prince reprenait Heroes de David Bowie, en hommage à l’Anglais alors décédé depuis quelques semaines. Et de cette race des héros, Bowie et Prince l’étaient assurément, transportant l’un et l’autre sur leurs épaules une carrière aussi riche que vertigineuse, creusée à la main avec un identique goût du risque et un mépris égal pour la bienséance, le raisonnable. L’un et l’autre, à l’aube de leurs carrières, se sont habillés en femme, ont enchevêtré sans calcul les musiques noires et blanches, dans une ébauche puis une débauche de pop universelle, asexuée mais farouchement sexuelle, apatride, multicolore.
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On peut mesurer la réussite prodigieuse de cette entreprise de démolition au jeu de piste que chacun peut tracer dans leurs discographies : demandez autour de vous un top 10 des meilleures chansons de Prince et de Bowie et il y aura beaucoup de chances pour qu’il ne ressemble pas du tout au vôtre. Chacun ses moments d’intimité, ses tubes qui ne sont pas ceux du voisin, de Pop Life à London Boys : dans ces dédales, comme à New York ou Londres, chacun trace ses itinéraires, décide de ses monuments historiques.
De la race des héros, pour l’éternité
Mais s’ils appartiennent et appartiendront pour l’éternité à la race des héros, Prince et Bowie font partie d’une caste encore plus précieuse et fondamentale : les passeurs. L’un et l’autre ont ainsi traduits en leur langue, fluide et accessible, des idiomes venus des avant-gardes comme de la pop, du funk le plus lubrique comme de la new-wave la plus glaciale, du psychédélisme le plus excentrique comme du jazz le plus sévère, du hip-hop comme du rock… À partir de ces matières premières, ils ont recréé l’excitation du premier pas dans la neige, régénéré en les frottant entre elles des langues parfois mourantes. Bowie s’adressait peut-être plus à la tête et Prince sans doute plus aux fesses. Mais l’un et l’autre voulaient prendre le contrôle de votre corps.
Vampires goinfres, ils ont tout gloutonné, tout assimilé, pour nourrir le monstre en eux. Qui ensuite disait à la pop-music où aller, alors qu’eux étaient déjà ailleurs, sur un autre chantier à dynamiter. L’album de Prince Sign of the Times (1987) contient ainsi suffisamment de messages cryptés et d’offrandes pour nourrir les musiques du diable pour quelques décennies à venir.
Passeurs décisifs
Mais leur rôle de passeur ne se limitait pas à la seule musique, mais également à sa diffusion, à sa mise en scène, à sa visualisation, à son commerce et à sa technologie. En restant constamment à l’affût des nouveaux sons comme des nouvelles technologies, l’un et l’autre sont montés au front pour des milliers d’autres, qui bénéficient aujourd’hui des victoires de ces deux hommes sur l’habitude, l’immuable, le figé.
La « pop life » que chantait brillamment l’un et qu’incarnait parfaitement l’autre se souviendra longtemps de ce début 2016 maudit.
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