Ecrivain du sensible (« Eloge du dribble », « American Vertigo »), journaliste globe-trotter et désormais scénariste (« Fritz Bauer, un héros allemand »), Olivier Guez s’est successivement perdu dans Londres, Buenos Aires, Prague et Berlin avant de poser ses valises à Paris. De « L’impossible retour », une histoire des juifs en Allemagne depuis 1945 aux aventures loufoques de Jacques Koskas, son alter ego littéraire, ce grand échalas romantique nous a reçus chez lui pour un long entretien. Rencontre.
Vous avez écrit le scénario du film Fritz Bauer, un héros allemand (sortie en France le 13 avril). Le long-métrage, déjà primé au festival de Locarno, raconte l’histoire de Bauer, le procureur général allemand qui a mené, dans l’ombre, la traque du nazi Eichmann. Comment vous êtes-vous retrouvé dans cette aventure ?
C’est Lars Kraume, le réalisateur du film, qui m’a approché. Il avait lu L’impossible retour – Une histoire des juifs en Allemagne depuis 1945 dans lequel je consacre un chapitre à Fritz Bauer et aux « procès d’Auschwitz ». Comme beaucoup de gens de sa génération, Kraume ne connaissait pas Fritz Bauer. L’Allemagne est en train de redécouvrir cet homme méconnu : trois films, dont le nôtre, lui sont consacrés, une biographie sur Bauer a été publiée et le musée juif de Francfort lui a également consacré une expo.
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Dans votre œuvre, il y a à la fois le récit du marasme consécutif à la Seconde Guerre mondiale et l’évocation de l’incertitude du moment. Pour autant, vous vous efforcez de ne pas comparer les deux époques…
On peut toujours établir des comparaisons historiques mais faire des hiérarchies de l’horreur n’a pas grand sens. Je pense qu’on est passé à une autre phase. C’est marrant ce début 2016 : avec tous ces morts célèbres, on est vraiment en train d’enterrer le XXIe siècle. Ce dans quoi nous basculons aujourd’hui est une conséquence du vide provoqué il a soixante dix ou quatre-vingts ans, en Europe. Moi, je suis né dans les années 1970, pas loin de la guerre finalement. Cette société de la reconstruction, j’ai grandi dedans. La question fondamentale paraît être celle-ci : comment une société se remet-elle après un crime pareil ? En parle t-on ? Fait-on semblant de rien ? Comment gère t-on l’humain ? Dans le film Fritz Bauer, on le voit bien : on a coupé les têtes les plus dérangeantes du régime nazi, certaines sont parties d’elles-mêmes au Moyen-Orient et surtout en Amérique du Sud. Les hyper structures, elles, sont restées les mêmes…
Le fil rouge de votre œuvre semble être cette réflexion sur le mal…
Il y a un livre à venir (sur la traque de Mengele, ndlr) qui n’est même pas commencé d’ailleurs – j’ai accumulé des milliers de pages de notes. Ce livre-ci est la conséquence du film sur Fritz Bauer qui est lui même une suite de L’Impossible retour. En travaillant sur le volet argentin de la traque d’Eichmann, j’ai eu envie de fouiller ce pan de l’histoire argentine. Quelque part, c’est une autre partie d’un triptyque dans lequel j’inclus également Les Révolutions de Jacques Koskas : l’Europe après la guerre. Comment gère t-on ce vide gigantesque et ce crime monstrueux ? La première chose à étudier, c’est l’Allemagne, sa mémoire et les juifs là dedans. Le personnage de Koskas, au fond, il réfléchit à cela, il incarne un type qui n’arrive pas à surpasser ce vide. Il se bat avec des fantômes, sans arriver à composer avec le réel. A chaque fois, il y a le mal comme point de départ. C’est ce qui m’anime depuis vingt ans.
Et en même temps, l’horizon n’est pas exclusivement sombre. Votre roman, Les révolutions de Jacques Koskas, était par exemple très drôle…
Oui, mais Koskas est triste. Son destin est triste, sa fin est nihiliste, l’issue du roman est laissée à l’appréciation de chacun mais on peut craindre le pire pour notre ami Koskas… J’ai moi-même des cotés très sombres et parfois des cotés assez lumineux aussi, paraît-il. (silence) Une fois qu’on a compris que l’existence était assez désespérante, l’ironie et le rire permettent de dépasser tout cela. L’ironie c’est une valeur très européenne pour le coup. Nous sommes une des rares sociétés à avoir développé ce sens-là. Le sens de la dérision, le sens de la blague, c’est quelque part l’invention de la littérature européenne : depuis Don Quichotte, on peut dessiner toute une lignée.
L’écrivain que vous êtes est-il apaisé lorsqu’il mesure l’accueil que reçoit son travail auprès des éditeurs, des rédacteurs en chefs et de la critique ?
Ecrire des livres, ce n’est pas rationnel, c’est une névrose. On naît presque avec, en tout cas, on la développe. Si les écrivains étaient apaisés, même si ils publient beaucoup, cela se saurait… J’ai aujourd’hui le sentiment d’avoir des structures assez solides, des interlocuteurs intelligents, empathiques. Pour autant, l’accélération récente des choses est la conséquence de toutes les bifurcations que j’ai pu emprunter pendant longtemps. Cela fait finalement quatre ans que je me suis installé à paris. Auparavant, j’ai passé cinq années en Allemagne. Avant cela, je travaillais pour un journal économique et financier (La Tribune, ndlr). Il y a eu également ce bouquin sur les Etats-Unis, beaucoup de rencontres et de voyages. Ces derniers temps, je me suis posé. Il se peut que je me sois ancré, cela peut paraître étrange à entendre de ma bouche mais, oui, il y a de ça. Avant, la priorité n’était pas celle ci.
Quelle était t-elle alors ?
C’était de vivre ! Voir et apprendre le plus de choses possibles, emmagasiner des paysages, des expériences, des gouts, des sensations.
Un des tournants, c’est votre installation à Berlin, au milieu de la décennie 2000. Comment se déroule t-elle ? Pourquoi décidez-vous d’y aller ?
C’est une lubie totale ! Un jour, on met un matelas à l’arrière d’une vieille Saab et on part ! J’avais une vie plutôt sympathique à Paris, une copine qui avait un boulot. Je l’ai convaincu de partir avec moi. On ne connaissait personne à Berlin, elle ne parlait pas un mot d’allemand, on y a débarqué à l’automne 2005, comme ça. J’avais simplement déroché une bourse du Sénat de la ville de Berlin pour écrire L’impossible retour, j’avais 31 ans à l’époque. C’était un truc étrange qui a duré quatre, cinq ans. Je me souviens avoir écrit « LUTTER » en lettres capitales, rouges, parce qu’à cette époque, il fallait lutter contre les administrations locales, la mairie entre autres.
A vous lire et vous entendre, on a l’impression que votre souci premier est d’avoir les moyens d’être libre…
C’est la base : avoir les moyens de sa liberté. Après, il y a certaines réalités économiques. Comme vous le savez, l’entonnoir est de plus en plus étroit et puis les gens ont moins de patience avec un mec de 45 ans qu’avec un mec de 25. La société attend des choses de toi… Je ne suis pas un martien sur une banquise, j’appartiens à cette société où il y a une obligation de résultat.
Pour se faire connaître et vendre plus, les écrivains se font voir à la télé. Vous semblez refuser ce petit jeu là…
Je refuse pas mal de sollicitations. Il y a quatre ans, j’ai commencé à être invité sur LCI en ma qualité de plume du Frankfurter Allgemeine Zeitung où j’écrivais alors. Mais en fait, je ne suis pas du tout fait pour ça. Je vais à la télé essentiellement pour parler de foot, une passion. Ca m’amuse vraiment. Commenter l’actualité, par contre, c’est pas mon truc. Si tu veux sérieusement le faire, il faut lire trois ou quatre quotidiens tous les jours, plus les hebdos, les journaux étrangers, tout cela prend un temps fou et j’ai envie de faire autre chose. Ma priorité est l’écriture des livres et désormais le cinéma.
Vous ne twittez pas ?
Non, je ne twitte pas… Enfin si, quelques fois, je reprends des trucs qui me concernent. J’utilise Twitter comme Facebook : c’est-à-dire que je sais très mal les utiliser ! C’est aussi parce que j’ai un très vieux téléphone qui ne supporte pas les réseaux sociaux.
C’est fait exprès ?
Absolument ! je ne veux pas être constamment connecté. Je ne veux pas que le téléphone devienne une extension de mon corps, de ma tête. Je suis très content de couper. Comme je suis souvent à l’étranger, je coupe tout. Je ne reçois même pas mes mails sur le portable, juste les sms, comme il y a quinze ans. Et j’adore ça, je trouve ça fantastique !
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