Grand retour de THE NATIONAL : sur des chansons d’une beauté foudroyante, le rock ronge ses angoisses, crache sa bile et se fait un sang d’encre.
Paris, 7 mai 2010. Ce soir-là, sous le toit en marshmallow du Zénith, deux géants du rock US indépendant confrontent leur génie lors d’un match amical. En tête d’affiche, les slackers quadra de Pavement flottent en dilettantes sur leurs hymnes lo-fi absurdes, la tête dans les nuages, en rupture radicale avec le groupe précédent.
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Car juste avant ces retrouvailles émues avec la bande de Stephen Malkmus, The National s’impose pendant une heure comme le pôle opposé de Pavement, l’image en négatif nimbée d’ombres et de fantômes. Si Pavement surfe sur des vaguelettes ensoleillées, un brin d’herbe entre les lèvres, The National préfère se jeter dans la houle déchaînée, au coeur d’un tourbillon abyssal.
De leur nouvel album, on n’attendait donc pas des hymnes pastoraux pour gazouiller sur des collines verdoyantes, même si Sufjan Stevens y fait une apparition. Et ça tombe bien : High Violet démarre par des guitares déchiquetées, dans un écho de cathédrale hantée par la voix de baryton de Matt Berninger.
En dehors de cette mise en bouche anxieuse, on note aussi certaines paroles de chansons qui feraient passer Ian Curtis pour Mika. Sur ce point, le disque commence très fort, avec des titres aussi légers que (dans l’ordre et traduit en français) : “Amour terrible”, “Douleur”, “Le Fantôme de n’importe qui”, “Peu de foi”, “Peur de tout le monde”. Ambiance.
“Bizarrement, nous l’avons fait pendant une période très heureuse, assure Matt Berninger. Je suis conscient que ça ne s’entend pas forcément.”
Si le groupe a l’habitude de composer du rock tendu et torturé, ancré dans les rues de Brooklyn, High Violet respire constamment à pleins poumons, là où les autres albums se contentaient de quelques déflagrations dévastatrices pour soulager la pression de la Cocotte- Minute (Available sur Sad Songs for Dirty Lovers, Mr. November et Abel sur Alligator). Et puis, en 2007, il y eut Boxer, chef-d’oeuvre cérébral tout en névroses noyées sous des taffetas d’arrangements soyeux.
“Après un album aussi délicat que Boxer, c’était amusant de retourner à certains aspects plus fous, affranchis et cathartiques”, explique Matt.
Ce qui frappe d’abord avec ces New-Yorkais, juste après la taille gigantesque du chanteur, c’est cette capacité à analyser en toute modestie leur propre oeuvre, à justifier le moindre choix dans l’écriture ou l’enregistrement, alors que l’on peine parfois à extirper à tant d’artistes autre chose que des laconiques “oui” ou “non”.
Quand Aaron Dessner, songwriter avec Berninger, commence à raconter que ce cinquième album a été entièrement conçu dans son garage tout juste transformé en studio, on imagine facilement le défi titanesque :
“Pour la première fois, nous n’avions aucune limite de temps. Le résultat est basé sur une multitude de textures denses. Les chansons très orchestrales comme England et Little Faith comportent un discret ensemble de cuivres, mais nous l’avons enlevé sur Conversation 16 : ça allait trop loin dans le côté épique. C’est bien beau de tenter toutes les expériences imaginables, mais le plus dur est de savoir quand s’arrêter.”
La classe ultime : là où d’autres groupes se vautrent dans la surenchère, The National sait composer des hymnes fiévreux sans jamais tomber dans les ficelles du rock pompeux, ni même effleurer d’un cil le vulgaire. Le chant de Matt Berninger se veut plus mélodieux, moins grave, entre les plaintes de Stuart Staples des Tindersticks et la nonchalance de Morrissey. Des choeurs entrent en scène pour lui tenir compagnie :
“La plupart des albums précédents parlaient d’un homme solitaire confronté à ses propres dilemmes, mais maintenant j’ai une famille, une petite fille qui a 1 an. Sur High Violet, l’homme a des responsabilités, un futur à prendre en compte. Il n’est plus seul mais entouré de sa famille, de la société. Il y a donc plusieurs voix qui viennent s’accumuler pour donner une perspective en panoramique.”
C’est cette vision en plan large qui permet à The National de dénouer ses pelotes de nerfs. Largement à la hauteur des colossaux Boxer et Alligator, les majestés de Brooklyn trônent au sommet de leurs tourments – et de leur art. Elles ont plongé la tête la première dans le tourbillon et en ressortent indemnes, presque apaisées, en attendant la prochaine tempête.
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