Si vous comptez bientôt passer quelques jours de vacances entre potes à Berlin dans un deux pièces avec balcon à deux pas du Berghain, vous pourriez bien finir à l’hostel. À compter du 1er mai, les locations touristiques seront interdites dans la capitale allemande. Avec cette mesure radicale, la mairie de Berlin entend lutter contre la pénurie de logements, et vient d’engager un bras de fer avec Airbnb pour obtenir les coordonnées des loueurs récalcitrants.
« Super big flat in the hippest area », « Authentic berlinstyle flat », « Be a local in a historic building »… D’ici quelques jours, les annonces de location d’appartements berlinois que l’on trouve aujourd’hui par milliers sur la plateforme Airbnb seront condamnées à disparaître. Car à compter du 1er mai, il sera interdit de louer un logement à la nuitée aux voyageurs de passage à Berlin sans autorisation de la mairie du quartier où il se trouve. Autorisations qui ne devraient être accordées qu’au cas par cas, en fonction de l’offre locative du quartier. Autrement dit : les locations saisonnières situées dans les quartiers touristiques de la capitale allemande, où les Berlinois eux-mêmes ont aujourd’hui les plus grandes difficultés à se loger, devront être remises sur le marché locatif classique. Les loueurs qui s’aventureraient à braver l’interdiction seront passibles d’une amende pouvant aller jusqu’à 100 000 euros.
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Entre 12 000 et 23 000 logements pourraient revenir aux Berlinois
C’est ce que prévoit une loi mise en place en mai 2014 par la mairie de Berlin, qui a accordé un délai de deux ans aux loueurs de meublés touristiques qui déclaraient leur activité pour se mettre en conformité. Cette loi a par exemple déjà permis de récupérer quelques centaines d’appartements à Mitte, se félicite Stephan von Dassel, maire adjoint de ce quartier qui est l’un des plus touristiques de Berlin. « Et elle va surtout permettre d’empêcher que 10 000 nouveaux meublés touristiques ne soient créés chaque année », ajoute-t-il. « Nous voulons protéger l’accès des Berlinois à des logements bon marché », affirme Engelbert Lütke Daldrup, secrétaire d’État chargé du logement au sein de l’administration du Land de Berlin, qui souhaite aussi améliorer la qualité de vie des habitants :
« Il y a des immeubles dans lesquels la plupart des appartements ont été transformés en meublés touristiques. Pour les locataires qui continuent à y vivre, ça n’est évidement pas agréable puisqu’ils sont entourés de gens qu’ils ne connaissent pas. Cela pose également problème en matière de nuisances sonores, car nous avons beaucoup de touristes qui viennent ici pour faire la fête. »
Cette mesure pourrait permettre de récupérer, selon les estimations, entre 12 000 et 23 000 logements, ce qui donnerait un appel d’air au marché locatif de la capitale allemande, dont la population augmente en moyenne de 45 000 habitants par an, et qui est aujourd’hui confrontée à une crise du logement que peinent à endiguer les nombreux projets de construction de nouveaux logements. Dans les quartiers du centre-ville, les loyers flambent et les files d’attente s’allongent d’année en d’année lors des visites d’appartements.
Un des symboles de la crise du logement
La plateforme Airbnb, au côté d’autres sites tels que Wimdu et 9flats, est fortement suspectée d’avoir contribué à cette gentrification à grande vitesse, en poussant de nombreux propriétaires et locataires à se lancer dans le business de la (sous-)location saisonnière, bien plus lucratif que la location classique. Airbnb est d’ailleurs devenu un des symboles de la crise du logement qui frappe aujourd’hui Berlin.
Des affiches placardées sur les murs de Kreuzberg appelaient récemment à réquisitionner les « logements Airbnb » du quartier pour y loger les réfugiés. Au début de l’année, une association de chômeurs longue durée avait elle « occupé » un meublé touristique pendant quelques heures en guise de protestation contre la gentrification. D’après une analyse de données menée l’an dernier par l’Université de sciences appliquées de Potsdam, mise en ligne sur le site Airbnb vs Berlin, près de 10% des utilisateurs de la plateforme proposaient plusieurs chambres ou plusieurs appartements à la location, preuve que le site héberge de nombreux loueurs professionnels.
Impopulaire chez les Berlinois qui sous-louent leur appart’
Mais à l’inverse, Airbnb permet aussi à des milliers de Berlinois d’arrondir leurs fins de mois et de payer leur loyer toujours plus élevé en sous-louant leur appartement lorsqu’ils s’absentent quelques jours de la capitale. Cette pratique sera désormais interdite à Berlin, ce qui rend la loi impopulaire aux yeux de ceux pour qui Airbnb est aujourd’hui une source de revenus leur permettant de garder leur logement. Un argument que l’entreprise américaine dégaine aujourd’hui dans les médias pour contester les mesures prises par la capitale allemande.
« Airbnb aide les gens à rester chez eux, à régler leurs factures et les voyageurs à découvrir les villes d’une façon qui leur serait impossible sans cela », affirmait récemment Chris Lehane, chef de la communication chez Airbnb, qui qualifie cette loi de « troublante », dans une tribune publiée dans le quotidien berlinois Der Tagesspiegel. À titre d’exemple, les Parisiens ont eux le droit de sous-louer leur appartement dans la limite de quatre mois par an. La seule possibilité désormais offerte aux Berlinois est de sous-louer une à deux chambres de leur appartement, à condition que la surface n’excède pas 50% de la surface totale du logement et qu’ils soient présents durant le séjour de leurs hôtes.
« Un musée dans lequel seuls circulent des touristes »
Afin de traquer les loueurs récalcitrants, la mairie de Berlin prévoit d’intensifier les contrôles en doublant ses effectifs d’enquêteurs, qui passeront de 30 à 65 personnes et seront habilités à visiter les appartements soupçonnés d’être loués à des touristes. Mais elle mise surtout sur la coopération d’Airbnb pour parvenir à ses fins :
« À compter du mois de mai, nous allons demander à Airbnb de nous transmettre les adresses des appartements et les noms de ceux qui les louent », explique le chargé au logement.
Il a récemment reçu plusieurs managers de l’entreprise américaine pour discuter des modalités de cette mesure et n’exclut pas de porter plainte si jamais la firme ne se pliait pas à ces conditions : « Airbnb est en train de mener une offensive de charme. Ils essaient de faire de la pub pour leur idée. Mais la réalité d’Airbnb est malheureusement très éloignée de cette jolie idée du partage« , affirme Engelbert Lütke Daldrup, qui craint qu’à terme, certains quartiers ne finissent par ressembler « à un musée dans lequel seuls circulent des touristes ».
L’an dernier, l’artiste berlinoise Alice Bodnar dénonçait la pénurie de logements en exposant des cartes qui recensaient ces appartements impersonnels, toujours équipés des mêmes meubles Ikea, proposés sur Airbnb dans les coins les plus touristiques de Berlin. Titre de l’exposition : Le monde invité chez personne.
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