Le ténor du barreau lillois a été choisi par Salah Abdeslam, le seul membre encore vivant des commandos du 13 novembre, pour assurer sa défense au côté de l’avocat belge Sven Mary. Portrait d’un bourreau de travail à qui rien ne fait peur.
Franck Berton n’est pas homme à se laisser intimider facilement. Physique de rugbyman – bien qu’il fut nageur de haut-niveau – regard noir perçant flanqué au milieu d’un visage carré aux faux airs de malfrat. « Il en impose ! », comme dirait un magistrat lillois. Et pourtant, l’avocat de 53 ans, originaire d’Amiens, le sait : en acceptant d’assurer la défense de Salah Abdeslam, seul membre encore vivant des commandos du 13 novembre, il s’expose à de nombreuses « critiques » et « menaces ». « C’est un choix très courageux, j’en connais beaucoup qui aurait refusé, assure son grand ami, le pénaliste Hubert Delarue, rencontré pendant l’affaire d’Outreau. Vous savez, dans ce genre de dossier, il y a beaucoup de coups à prendre. » Au sens figuré comme au sens propre. Son homologue belge, Sven Mary, affirme avoir été plusieurs fois violemment pris à parti depuis qu’il a endossé ce rôle.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Avant d’accepter ce dossier, Frank Berton a rencontré Salah Abdeslam pendant près de 2h30 dans sa prison de Bruges. « Il a posé ses conditions, explique son associé, Damien Legrand. Il est devenu son avocat parce qu’Abdeslam lui a assuré qu’il jouerait le jeu de la justice, qu’il s’expliquerait. S’il avait décidé de se murer dans le silence, il n’y serait pas allé. » Et aux amalgames qui pourraient être commis, l’avocat de répondre que Frank Berton défend l’homme, pas sa cause. « Son point fort, c’est d’arriver à sortir du débat technique pour défendre ses clients sur le plan humain. »
Boulimique de travail
C’est peut-être parce qu’il n’a pas eu un parcours linéaire qu’il attache autant d’importance à la personnalité de ceux qu’il défend. Ainé d’une fratrie de trois enfants, Frank Berton a confié à Libération il y a quelques années avoir eu une enfance « de merde », au côté d’un père violent et pervers qui n’hésite pas à frapper femme et enfants. « Le parcours qui est le sien influence forcément ses choix en tant qu’avocat. Vous connaissez l’aphorisme selon lequel l’adulte n’est rien d’autre qu’un enfant couvert de cicatrices’ ? », lâche pudiquement son ami Hubert Delarue.
Sa renaissance a lieu en 1989, lorsqu’il est admis au barreau de Lille. Il a alors 27 ans et se fait rapidement remarquer par sa pugnacité et son immense capacité de travail. « Comme tous les pénalistes – ou en tout cas la majorité d’entre eux – Frank est un grand anxieux. Pour compenser cela, il travaille énormément en amont. Vous ne le verrez jamais arriver les mains dans la poche quelle que soit l’affaire », assure Hubert Delarue. « Il connaît tous ses dossiers par cœur, renchérit l’ancien avocat général à Paris Philippe Bilger. Il traque les moindres détails, il ne laisse rien passer, il est implacable. »
« 95% de sueur, 5% de sunlight »
De la défense des petits délinquants, il passe rapidement à celle des « gros poissons ». Il se fera notamment connaître en devenant le conseil d’un des terroristes impliqué dans la vague d’attentats de 1995. Déjà, à l’époque, il avait plaidé que son client avait été « pris dans un engrenage terrible, dont il ne pouvait pas sortir ». L’argument ne convainc guère et Mohamed Drici est condamné à 10 ans de prison ferme. Un revers pour Frank Berton, une exception dans sa carrière. Depuis, il a fait acquitter Odile Marécaux et Franck Lavier dans l’affaire d’Outreau, il a contribué à faire sortir Florence Cassez de sa geôle mexicaine en prouvant qu’elle avait été victime d’un coup monté ou pris la défense de Dominique Cottrez, la mère infanticide condamnée à 9 ans de prison alors que le parquet réclamait le double.
Les dossiers s’accumulent dans son cabinet lillois qu’il partage avec trois associés, dont sa femme, également avocate. Outre la défense d’Abdeslam, il vient notamment d’accepter de prendre celle de Christophe Naudin qui a participé à l’évasion des deux pilotes d’Air Cocaïne et s’envolera dès samedi pour la République Dominicaine. « Certains reprochent à Frank d’avoir un goût immodéré pour les dossiers surmédiatisés, reconnait Hubert Delarue. L’égo est d’ailleurs quelque chose qui est propre à notre métier de pénaliste. Mais, vous savez, notre travail, c’est 95% de sueur pour 5% de sunlight. »
Flambeur pour les uns, épicurien pour d’autres
C’est vrai que l’étoile du barreau de Lille aime tout ce qui brille. Il roule en Aston Martin, aime les vêtements de luxe et les grandes tables. Un goût pour le clinquant qui agace ses détracteurs mais qui fait rire ses amis. « Quand j’achète une 2 CV d’occasion, lui choisit une voiture à la James Bond ! », poursuit son ami. Le conseil est décrit comme un « épicurien », « un homme qui apprécie la sensualité de l’existence », selon les mots de Philippe Bilger. Fêtard invétéré, ce fan de Bruce Springsteen, qui fut le temps de ses études DJ en Belgique, aime le milieu de la nuit… mais pas autant que sa maison de campagne où il passe des heures à pêcher. « Il s’est construit une image d’homme dur, grande gueule, alors qu’en réalité c’est quelqu’un de très simple avec un sens très fort de la famille. Son équilibre, c’est sa femme et ses quatre enfants. Le reste, c’est de la représentation », assure un proche. La parade est loin d’être terminée. L’instruction du dossier, complexe, devrait durer de longues années.
{"type":"Banniere-Basse"}