Entre l’artiste et la capitale, c’est une longue histoire d’amour. Au cours de laquelle les noctambules bien informés ont pu le suivre pour des aftershows délirants.
Au 60, avenue Foch, dans le XVie à Paris. Combien sommes-nous à avoir rôdé devant les grilles rupines de ce bel immeuble haussmanien ? Attendant patiemment dans notre manteau d’adolescent que le fakir nous enveloppe de son regard de biche. Nous sommes en 1988. Depuis deux ans déjà, Prince honore Paris.
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Son appartement, qu’il loue à l’année, est sa seconde principauté, la clé de son anoblissement. L’enfant des faubourgs afro de Minneapolis trouve dans la cité des Lumières une scène à la taille de son ambition. Il donne le 8 juillet à Bercy le coup d’envoi de la tournée Lovesexy. En tout, quatre concerts parisiens. Il sort aux Bains Douches, y boit des jus de fruits pendant que Jack Nicholson trace des lignes.
Il y donne un gig confidentiel, filmé par Jean-Baptiste Mondino, en marge de Bercy. Avec sa batteuse et amante Sheila E., il zouke au Keur Samba et assiste en coulisses au Palais des Congrès de Miles Davis. Il vit la nuit, dort le jour.
Les mythiques aftershows du Kid de Minneapolis
Avec la France, la love story officielle débute trois ans plus tôt. En 1985, sur la Riviera, où Prince réalise en noir et blanc son premier long métrage, Under the Cherry Moon. Il donne en catimini un miniconcert au Théâtre de Verdure, à Nice, dont est extrait le clip live du titre America, dernier single d’Around the World in a Day, son album d’alors.
Un tour de chauffe avant son couronnement parisien. Le 25 août 1986, le Tout-Paris – Deneuve, Depardieu, Jack Lang… – écourte ses vacances. Prince est au Zénith, celui de la porte de la Villette, et déjà au sien. La veille, il donne au New Morning le coup d’envoi de la pratique qui fera sa légende.
L’aftershow, le concert d’après le concert, qu’il exercera avec passion tout au long de son exemplaire carrière. Près de deux heures d’une performance en dehors des sentiers battus, un répertoire d’inédits et de reprises (James Brown, Jimi Hendrix, The Temptations). Une excentricité.
Face à la faune du Palace en 1981
Rebelote l’année suivante, en 1987, toujours au New Morning, en marge de ses trois concerts à Bercy, un set d’une heure, vital, d’une jeunesse intrépide. Blues, funk, improvisation jazz, aussi débridé que son Sign O’ the Times Tour est calibré. Une folie.
A Paris, dans ces années-là, tout le monde veut être Prince
On en aurait presque oublié qu’un soir de 1981, la faune du Palace voit débouler sur scène un lutin en slip et bas de coton, imper et talonnettes. Le Prince electro-punk de Dirty Mind branle sa guitare avec le même doigté que son sexe. Ça suinte le cul, tendance backroom gay. Déjà, Prince est branché.
Le photographe Jean-Baptiste Mondino (lire témoignage p. 16) se souvient de lui débarquant en 1988 dans la cuisine de l’artiste Kiki Picasso. Il veut voir de ses propres yeux la capsule technologique que Jean-Baptiste utilise pour la postproduction de la photo qui illustrera la pochette de son album Lovesexy. C’est qu’à Paris, dans ces années-là, tout le monde veut être Prince.
Grand Rex et Nulle part ailleurs
Les Rita Mitsouko, qui convient Jesse Johnson, le guitariste frère d’armes de Prince, à venir taper le bœuf sur Andy. Gainsbourg, sans l’avouer, qui s’est mis au funk. La transsexuelle et égérie du Palace, Marie-France, qui slamme “Je viendrai te chercher, sur la piste de danse, baby”, sur le hit Girls & Boys. Prince est branché.
Mais, en ce début des années 1990, les enfants gâtés lui préfèrent de plus jeunes “cats” et désertent les trottoirs de l’avenue Foch. Prince aussi, qui rend son appartement et arpente les suites du Bristol. Des aftershows encore et toujours, aux Bains Douches en 1992 pour un set funky devant un public en surchauffe ; au Rex en 1993, un gig qui fait la part belle à sa six-cordes en forme de lyre. En 1994, une prestation à Nulle part ailleurs où, diva, il refuse de remonter sur scène.
A l’image, on ne distingue pas suffisamment le grimage qu’il s’est fait sur la joue (“Meshell is cool”). Dans la foulée, le soir même, un premier Bataclan, concert pilote d’une tournée des clubs en formation réduite, peut-être sa meilleure, le NPG mouture 1993-1996. Un grand désert à la fin des années 1990, avec un mauvais Zénith en 1998, un second Bataclan en 1999, qui voit Prince débuter la balance à la batterie alors que le public est déjà dans la salle.
Trois heures à la Cigale
2002, le retour en grâce. Le “main gig” se joue à guichets fermés au Zénith. L’ultrafan est convié à assister à 45 minutes d’une répétition d’anthologie. Puis, après 2 h 30 de show, Prince investit au petit matin le Bataclan. Souvenir du chanteur M sautant en l’air avec la foule aux lueurs de l’aube. Prince n’est plus branché. Il est bien plus, une icône. La musique, c’est lui. Et ceux qui ont la chance (et la persévérance) de le suivre dans ses virées parisiennes n’en reviennent pas.
Il y a le concert à la Cigale, en 2009, au lendemain du Grand Palais. Because, sa maison de disques, a prévenu : “Il jouera un miniset de 30 minutes.” Trois heures plus tard, Paris exulte. Prince n’a pas lâché sa guitare, malgré des douleurs persistantes à la hanche. Il y a le Stade de France, en 2011.
Un set instrumental de dix minutes pour remercier les serveurs
Et, une semaine plus tôt, la Fête de la musique et ce coup de fil d’un ami qui informe de la présence de Prince au restaurant La Société, à Saint-Germain-des-Prés. Arrivé peu après minuit, il a fait rouvrir le resto. Will.i.am est là. Combien sommes-nous ? Une huitaine, plus les serveurs. A 4 heures du matin, Prince et sa troupe s’apprêtent à quitter l’établissement. Prince se met au piano et improvise un set instrumental de dix minutes pour remercier les serveurs. Grand Prince.
Il y a enfin ce dernier New Morning, commencé à 2 h 30 du matin dans la nuit du 22 juillet 2010. Et cinq cents Parisiens, sur le trottoir de la rue des Petites-Ecuries, esseulés après quatre heures inoubliables. Maintenant qu’il est parti, combien sommes-nous, à Paris, ces jours-ci, à ne plus dormir la nuit ?
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