[Philippe Cerboneschi alias “Zdar” nous a quittés mercredi 19 juin en soirée. On l’a connu comme un producteur de talent, mais surtout comme la moitié de Cassius, un des grands noms de la French Touch. En mémoire de ce pionnier, nous vous proposons de (re)découvrir son hommage en 2016 à Prince et son génie qui l’ont tant influencé.] Premier acteur de la French Touch, ingénieur du son et producteur mondialement réputé, Zdar est surtout l’un des fans les plus fervents. Et des plus tristes aujourd’hui au point de se sentir orphelin.
Première rencontre
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
“Quand j’avais 19 ans, j’étais jeune assistant de production dans un studio à Marcadet, où Prince a passé quatre jours sur un mix de U Got the Look. C’était mon héros numéro 1 à cette époque. La nuit, je jouais de ses guitares en forme de lyres. Il y avait aussi un coffre-fort avec les bandes. C’était magique. Mon seul échange avec lui a été pathétique (rires). Un jour, je me suis ramené avec des pizzas en disant : ‘Here is the eat !’ Il m’a regardé en grimaçant et ils ont appelé des mecs du George V qui sont arrivés avec de la bouffe sous cloche et sur des chariots, comme sur un transatlantique…”
La tournée de Sign O’ the Times
“L’équipe nous a offert 50 places pour les quatre dates parisiennes de sa tournée Sign O’ the Times à Bercy. J’y suis allé tous les soirs. C’était inouï. On avait des pass autocollants avec un cœur couleur pêche dont j’étais super fier. Un soir, je croise une copine dans le métro qui me dit : ‘Tu sais que c’est marqué NM ?!’, et elle m’explique que j’ai l’autorisation d’entrer au New Morning.
J’ai donc assisté aux célèbres aftershows de Prince là-bas à 3 heures du mat. Il faisait des concerts impromptus tout le temps, surtout à Paris, qui était sa ville préférée. Il jouait surtout des reprises de Sly Stone, James Brown, Al Green pour s’entraîner. Il adorait répéter. C’était aussi des moments de lâchage.
J’étais aussi à son aftershow au Bataclan, en 2002, annoncé le jour même aux alentours de 18 heures sur Radio Nova. Personne n’était sûr de rien. Mais tous les fans hardcore se sont déplacés. Quand j’ai vu le matos sur place, j’ai appelé les Phoenix en leur disant de rappliquer.
Le concert a commencé à 3 heures du mat. Il y avait Larry Graham de Sly And The Family Stone à la basse et ils ont repris If You Want Me to Stay. On ne s’en est jamais remis, avec les Phoenix. Enfin, je crois que personne ne s’est jamais vraiment remis de rien avec Prince… On a appris par la suite qu’il avait appelé la salle à 17 heures en demandant si c’était libre.
J’ai fait un nombre pas possible de concerts de Prince, comme tous les fous dangereux. J’ai arrêté un peu après Lovesexy (1988), quand c’est devenu jazz-rock. J’avais peur de le voir parce que je voulais garder l’image que j’avais de lui, je l’avais tellement idolâtré… Prince et Iron Maiden sont les artistes que j’ai le plus vus dans ma vie (rires).
Ma tournée préférée reste celle de Sign O’ the Times. C’était incroyable. Avec l’aftershow au Bataclan. Lovesexy était cool, mais la scène ronde tournait, ça prenait moins avec le public. Sur Sign O’ the Times, il y avait tout le Revolution. ça me rappelait le quatuor que John Coltrane a eu à un moment. Il y avait Sheila E. aux percus, et Cat (Glover – ndlr) qui dansait. On était tous fous d’elle, les B-Boys comme les petits bourges.”
Deux orphelins
“J’ai découvert Prince dans l’émission Sex Machine. Un jour, ils ont diffusé un concert de lui aux Bains-Douches. Là, j’ai vu un mec en porte-jarretelles et talons hauts fouetter une fille menottée à un lit, sur une musique qui faisait ‘prou/tch/prou’. A cette époque, j’écoutais du hard-rock, mais en le voyant je me suis tout de suite dit que ma vie devait se transformer. C’est ma vraie épiphanie. C’était une véritable obsession. On s’est vraiment retrouvés sur Prince avec Hubert (Blanc-Francard, aka Boom Bass, de Cassius – ndlr). Là, on est à 10000 kilomètres l’un de l’autre et on pleure au téléphone comme deux orphelins…”
Ses héritiers
“Je n’ai jamais vu autant d’artistes se retrouver chez quelqu’un. Que tu bosses avec les Daft, Phoenix ou Cat Power, tu parles de Prince ! Comme Bob Marley et Michael Jackson, c’était un mec chez qui tout le monde se retrouvait – les fans de metal comme les fans de reggae. Frank Ocean fait partie, avec André 3000 et Blood Orange, des dignes héritiers de Prince. Kanye West aussi est en train de dessiner son propre monde, sa propre voie.
Après, je pense que tous ceux qui l’ont aimé sont ses héritiers. De là à dire qu’on en est tous dignes… ce n’est pas à nous de juger ! Si le mec de Green Day est fan de Prince, je suis persuadé que lui aussi est un héritier et qu’aujourd’hui il est terrassé. Hubert m’a envoyé un message tout à l’heure en me disant : ‘Celui qui nous a fait faire ce qu’on fait est parti, qu’est-ce qu’on va faire maintenant ?’”
https://youtu.be/GnZrBYMudLU
L’album 1999… de Cassius
“On était en 1999 et on ne pouvait tout simplement pas faire autrement ! L’album est tellement fabuleux, il a bercé nos vies à Hubert et moi. Pour nous qui sommes des mecs de studio, Prince est l’un des plus grands producteurs de tous les temps. On l’oublie souvent parce que c’est un énorme chanteur, guitariste, danseur. Mais Sign O’ the Times est l’album le plus futuriste qu’il y ait jamais eu au niveau de la production. C’est magique. Il a touché un truc que peu de gens ont touché.”
Une légende magique
“Quand on a affaire à des artistes géniaux, c’est pour toute la vie. Un disque de Prince ou de Stevie Wonder ne va pas durer cinq ans. Si ce soir tu écoutes Sign O’ the Times, tu vas te rendre compte qu’il n’y a pas une musique plus moderne et ça a été fait en 1987. Même la techno doit à Prince ! Le génie surgit quand il y a de la magie entre l’écriture, la musique et la production et que tout tend vers le futur. Lui a fait ça sur six albums à la suite ! Plus que futuriste, c’est intemporel.
Le beat de The Ballad of Dorothy Parker nous a traumatisés, les Phoenix et moi. On a passé des années à essayer de le comprendre, de le refaire. Il utilisait des boîtes à rythmes. Et cette batterie qui faisait aussi ‘prou/tch/prou’. Sur Kiss (1986) il n’y a même pas de basse ! Au départ, la maison de disques ne voulait pas le sortir. Et c’est devenu son numéro 1 de tous les temps !
https://youtu.be/baPsgmDexno
Son côté insaisissable a créé une légende magique. Mais, comme avec Bowie, ça ne peut pas tenir si la musique n’est pas fabuleuse. Tu peux créer des mythes autant que tu veux, ça ne tient pas si les morceaux derrière ne sont pas incroyables. Là, ça fait quatre heures que je marche dans le sable en chantant Prince et je me dis que c’est vraiment fou le nombre de chansons magiques qu’il a écrites. Ce n’est plus un musicien, c’est un mec au-dessus de tout. Il n’y en a pas beaucoup des comme lui, accrochés à une comète alors que nous on a les pieds sur terre.”
17 ans pour toujours
“Je n’ai jamais eu l’occasion de travailler avec lui, mais pour chaque note qu’on a faite dans notre vie, on s’est demandé intérieurement si Prince aimerait. On se disait qu’il entendrait peut-être notre dernier album puisqu’il connaissait Emmanuel de Buretel (président du label Because Music – ndlr). Je me disais même qu’il y avait deux ou trois tracks qu’il pourrait trouver cool, un peu naïvement… mais avec Prince, on redevient très vite les mecs d’avant. Moi, avec lui, j’ai toujours 17 ans.” propos recueillis par CB
{"type":"Banniere-Basse"}