Prince aura marqué de son génie un nombre incalculable d’artistes. Quelques-uns d’entre eux, plus ou moins proches, viennent livrer leurs souvenirs émus. Plus que des témoignages, des love symbols.
Le témoignage de Jean-Baptiste Mondino, artiste
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Le clip de Sign O’ the Times (1987)
“C’était cette période très médiocre des années 1980 où la musique devait passer par des clips. On était une dizaine à en faire à Los Angeles, et j’étais le seul Français. Prince avait vu ce que j’avais fait avec Trevor Jones. Un jour, son équipe m’a demandé de réfléchir au clip de Sign O’ the Times. J’ai écouté et j’ai trouvé les paroles tellement extraordinaires que je leur ai conseillé de ne mettre que de la typo, que des mots. C’est ce qu’ils ont fait avec des graphistes de San-Francisco. Le texte avait des influences bobdylanesques, rollingstoniennes aussi par moments.”
https://youtu.be/MfASW6ibR-8
Embedded en studio
“J’ai rencontré Prince une première fois au studio Sunset où il avait enregistré Sign O’ the Times. Plus tard, il m’a fait venir à Minneapolis. Je me suis retrouvé à passer une semaine en studio avec lui. Je le voyais écrire un ou deux titres par jour. C’était fascinant. Il avait une vitesse de production incroyable.
Il y avait un étage entier pour les vêtements, une salle de répétition, des musiciens qui étaient en permanence en attente dans des chambres d’hôtel de Minneapolis. Mais il faisait tout lui-même, même les backing vocals, sauf les sax, seulement de temps en temps. Il jouait de la batterie, du piano, de la guitare, il faisait tout. Le soir, on allait faire la tournée des boîtes. Il se faisait une beauté, il était plus “Prince”. Dans la voiture en y allant, il écoutait les mix, et après il retournait au studio.”
Une passion pour les harpes
“Je me suis longuement dit qu’il n’appartenait pas à notre galaxie. Pendant dix ans, ça m’a été très difficile d’apprécier un autre artiste que lui. Il était trop prolifique, trop brillant. Il y avait du funk, de l’electro, de la beatbox, de tout dans sa musique. Sign O’ the Times, c’était foudroyant. Les paroles aussi, on n’en parle pas assez. Elles sont merveilleuses. C’est un artiste immense. Sometimes It Snows in April (1986), quelle beauté ! C’est drôle, parce qu’il n’était pas très bavard, il était très timide.
https://youtu.be/UbDF8pXeNNM
Il avait une passion pour les harpes aussi, les instruments un peu étranges comme ça… Quand je le voyais en studio, je me sentais comme dans un dessin animé à la Fantasia. Il jouait de tout avec légèreté et maestria. Il commençait par les voix, puis venait le tour des instruments. Il y avait rarement de la basse. Plus tard, quand c’est devenu plus lourd, il y en a eu davantage. Mais Parade, c’est très léger. Il m’avait un peu accaparé, Prince. J’étais comme tombé sur un gourou, je l’avoue. Les années 1980 étaient pauvres par rapport à lui…”
Des chaussures à talons
“Il était minuscule, vraiment minuscule. Il avait des guitares refaites à sa taille. Comme tous les gens très petits, il avait une tête un peu grosse. Il était en permanence sur ses talons et en talonnettes. Cela dit, il faisait du basket depuis tout jeune, et il me disait ‘Let’s go’ et il jouait. Il avait une aisance sur ses talons…”
Un artiste insaisissable
“Il était très joueur. Presque comme un acteur indien. On le voit clairement dans Under the Cherry Moon (1986), où il batifole, il séduit. Il aimait jouer avec les gens. Quand les producteurs venaient écouter ce qu’il avait fait en studio et disaient ‘C’est génial !, il ne faut surtout plus rien toucher’, lui, il mettait quinze couches de plus. Il prenait une sorte de revanche. La revanche de quelqu’un qui veut faire ce qu’il veut.
Il avait un grand respect pour Clare Fischer, un vieil arrangeur de cordes qui bossait pour des films. Quand il avait de grandes parties de cordes, il les lui envoyait. Mais il ne l’avait jamais rencontré. Il n’en avait pas besoin. Il aimait bien qu’on ne puisse pas l’attraper, qu’on ne le saisisse jamais vraiment. Hedi Slimane est pareil. C’est une manière de survivre. Ils savent qu’ils sont au-dessus et qu’ainsi ils ne se feront pas bouffer. Il avait le luxe de ne même pas faire de beaux clips ou de réussir graphiquement. Alors que dans les années 1980, tout était fondé sur les clips, il laissait ça à Michael Jackson. Il a un peu réussi celui de Parade (1986) je trouve, parce qu’il est simple.”
Classique vs hip-hop
“Prince jouait très bien de la guitare. Tout le monde le comparait à Hendrix, mais moi il me faisait penser à Carlos Santana dans sa manière de jouer. Ce qui est très étrange, c’est qu’il a sorti des albums un peu indigestes par la suite où je ne retrouvais pas ce qui me rendait fou chez lui, mais sur scène il ne les jouait pas, comme s’il savait… Il prenait un plaisir fou sur scène. C’était vraiment un musicien. Il touchait à tout : je l’ai vu jouer du classique et c’était extraordinaire. La seule forme musicale dans laquelle je ne le trouvais pas à sa place, c’était le hip-hop. Quand ça rappait, ça ne le faisait pas.”
La grâce et le génie
“Quand on est un génie, c’est tout simplement insupportable, on doit s’emmerder. Je pense que c’était un génie, il n’y a pas d’autre mot à ce niveau. Tous les gens avec qui il a travaillé, qu’il a produits, n’ont jamais réussi d’ailleurs, ce qui est assez étrange. Sûrement parce qu’il touchait la grâce et que personne ne faisait le poids.”
Au paradis, à Minneapolis
“Quand j’ai passé une semaine à Minneapolis, avant qu’on tourne le clip à Los Angeles, j’ai découvert que ce n’était pas du tout ghetto comme je l’imaginais. La ville était très libérée sexuellement. Il y a une grande liberté d’esprit aussi. Je me souviens qu’il y avait de grands lacs, et Prince adorait prendre des bains, d’ailleurs. On se serait cru en Suède. C’est une ville où les gens restent – alors que les Américains bougent beaucoup, les gens de Minneapolis sont très fidèles à leur ville. Et il y est resté lui aussi. Ce qui est beau sur la photo de la pochette de Lovesexy, c’est qu’il est déjà au paradis…” propos recueillis par CB et PS
Kristin Scott Thomas, actrice
“Je suis absolument bouleversée. J’ai connu Prince il y a trente ans sur le tournage d’Under the Cherry Moon, et nous étions restés en contact. C’était un homme magique, infiniment talentueux et inventif. Il aimait les gens pour qui il créait de la musique. Il était courageux, généreux, il refusait tout compromis. C’était un artiste à part entière. Je n’arrive pas à croire qu’il n’est plus là.”
https://youtu.be/w9yRI52i15Y
Ibeyi, musiciennes
“On était fans de Prince depuis le début car nos parents l’étaient. Moi, Lisa, j’ai pleuré parce que j’ai eu l’étrange l’impression de perdre un ami alors qu’on ne l’avait rencontré qu’une fois. J’imagine que c’est parce que la musique rend ami. Il était venu nous voir en concert puis en backstage à Minneapolis. Il nous avait proposé de venir jouer chez lui à Paisley Park. C’est triste mais la musique reste. C’est ce qu’on s’est dit quand notre père est mort et c’est ce qu’on s’est dit avec tous les artistes qu’on a perdus cette année. La musique perdure et c’est ce à quoi on doit se rattacher.” propos recueillis par CB
Xavier Veilhan, artiste
“Il y a peu de gens dont on peut dire que ce sont des génies. Il en faisait partie. C’est l’impression que j’ai eue quand je l’ai vu sur scène. Je l’ai vu dans des stades, dans des aftershows privés et à chaque fois c’était incroyable. Il suffisait de lui mettre une guitare dans les mains. C’est un artiste hors dimension.
Au début, je n’étais pas plus fan que ça, j’écoutais des choses plus radicales. C’est 1999 qui m’a complètement retourné. Son côté minimaliste, acharné, punk. Sa musique a quelque chose de tendu. C’est également quelqu’un qui est au-delà du goût. Il va totalement à l’encontre de ce que l’on peut recommander concernant le style. Je l’ai croisé il n’y a pas longtemps dans un défilé. Il portait un costume mauve, sa canne, il était impeccable. Sa mort me plonge dans une grande tristesse. C’est un coup. Il avait encore tellement à proposer.” propos recueillis par GS
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