Avec « Takes », Brisa Roché dévoile un songwriting aérien, hanté par les fantômes west-coast. La très francophile Américaine nous a accordé une interview et s’est livré au jeu de l’Inrocks Session, deux titres à découvrir en vidéo live.
Que s’est-il passé depuis la parution de The Chase ?
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J’ai tourné et après c’était l’heure de commencer à travailler sur le nouvel album. Toute l’expérience du premier disque m’a aidée pour celui-ci. Autant la scène m’a appris plein de choses sur la vie, autant ça n’a bizarrement pas beaucoup influencé le deuxième. C’était plutôt l’expérience de l’enregistrement qui a joué. Je ne voulais pas refaire les mêmes choses. Je n’avais pas apprécié la façon dont on avait enregistré le premier. Pour moi The Chase n’était pas la meilleure chose que je pouvais faire à l’époque, et je l’avais donc mal vécu. Je voulais donc être fière et entière sur ce disque-là.
Comment expliques-tu cette déception pour ton premier album?
Plein de choses. Ca s’était fait vraiment trop vite. Dans un timing comme ça, je n’ai pas pu m’imposer. Je me sentais juste tellement chanceuse d’être là que je ne savais pas trop comment faire. Il faut se faire un peu violence pour s’imposer. Parce que tout le monde veut que ça réussisse mais il y a beaucoup de gens avec leurs propres idées de ce qui marche ou ce qui ne marche pas. Et finalement c’est mieux d’avoir une seule personne avec une vision globale. Et c’est encore mieux quand c’est l’artiste. Sur The Chase, le timing était tellement serré que je n’ai même pas pu aller au mixage parce que si j’avais eu un point de vue différent, ça aurait fait trop durer les choses. Et j’ai eu trois heures pour faire toutes les voix sur le disque à la toute fin de l’enregistrement. Je sortais d’un vol Paris New-York et j’étais tombée malade. On a eu six jours pour faire 22 morceaux avec des gens que je ne connaissais pas. Si tu aimes le côté spontané ou imprévu, alors oui. Mais à l’époque ce n’était pas mon cas. Mais je pense que maintenant que ce nouveau disque sort, je vais peut-être pouvoir apprécier le premier pour ce qu’il est.
Comment s’est passé l’enregistrement de ce nouveau disque alors ?
Je n’ai rien lâché. C’était parfois conflictuel. J’ai commencé à écrire les chansons en septembre il y a un an. J’ai écrit plein de textes et je suis partie aux Etats-Unis faire les maquettes. J’avais dispatché mes textes entre mes musiciens pour qu’ils me proposent aussi des mélodies en fonction des textes. Et j’avais promis de maquetter ces propositions. Au final on m’en a envoyé des tas et j’ai donc maquetté de nombreuses versions pour le même texte, avec à chaque fois une mélodie de moi en concurrence. J’ai souvent choisi une autre mélodie qui était plus forte que la mienne. J’ai donc fait ça dans le mini studio que j’ai construit dans mon village, à six heures de route au nord de San Francisco. Je voulais surtout être seule pour faire ce travail. Je suis très crispée par la présence des gens. C’était donc un challenge de maîtriser ça toute seule depuis mon village, un endroit un peu paumé. Je n’avais pas cette peur du jugement urbain. C’est un endroit très resté dans le « flower area ». Un endroit très 1969. C’est marrant, aux Etats-Unis, on dit 1969 pas 1967. Je ne sais pas pourquoi.
Comment est cet endroit ?
C’est un endroit qui n’a pas changé depuis mon enfance, avec toute la musique que ça contient. Du coup je me suis laissée aller à jouer des trucs très folk, un peu féministes. Ensuite nous sommes partis dans un studio dans le sud de la France, près de Carpentras, un endroit entouré de vignes où tu peux voir les montagnes au loin. On a eu deux sessions d’enregistrement de douze jours chacune, donc beaucoup plus de temps que la première fois.
C’était un moment agréable ?
Non. Un enregistrement n’est jamais un moment facile ou agréable pour moi. C’est un moment angoissant. Tu n’es pas sûre que ça va marcher car il faut que tu diriges plein d’aspects à priori plutôt « magiques », enfin, non dirigeables. Tu dois réussir à fomenter des choses qui sont de nature éthérée ou impossible. En plus, tu dois dégager une direction et une vision puissante pour que tout le monde y croie… Tu ne peux vraiment pas montrer tes doutes ou tes incertitudes. J’avais donc fait une liste de références, pas forcément explicites. C’étaient des références pour me soutenir dans mes choix, des choix un peu libres et psychés. C’étaient des morceaux que j’avais trouvés sur des cassettes que j’écoutais à l’adolescence et dont je n’avais pas forcément les noms. Ensuite on est partis faire une mini tournée ce qui était très bizarre parce qu’on a joué que nos anciens morceaux. Puis mes morceaux ont été durement reçus. J’ai fait des changements pendant la deuxième session, c’était assez douloureux. Enfin, je suis partie à New-York pour le mix et là ça a été super : c’était dans un studio à l’intérieur d’un grand hôtel et j’étais présente 24 h sur 24. Très bizarre. Tout se passait à l’intérieur, tu ne pouvais pas savoir le temps qu’il faisait ou l’heure qu’il était. Ca a été un des meilleurs moments de la création de ce disque. J’avais pris des libertés tout en ayant promis de leur rendre des bonnes chansons qui allaient passer à la radio (rires). Mais bon c’était un moment où ils changeaient toutes leurs équipes ou leurs structures chez EMI. Il n’y avait plus une bonne place là-bas pour moi et j’ai donc trouvé Discograph. Ca a simplement retardé la sortie car ce disque est fini depuis janvier.
Pourquoi as-tu voulu publier cet album également en format vinyle ?
J’y suis attachée. Je serai fière d’avoir ça. Lorsque je parle de ce disque, je dis souvent « a record ». Donc pour moi c’est naturel de le sortir en vinyle comme les disques de mon enfance.
Quels disques écoutes-tu en ce moment ?
Ce disque est très imprégné de mon pays, très américain. Depuis que je l’ai fait, j’ai de plus en plus le mal du pays. J’écoute donc beaucoup du vieux blues, John Lee Hooker. Sinon j’écoute les Yeah Yeah Yeahs. J’ai découvert Vashti Bunyan. Plein de vieux disques de Donovan ou Joni Mitchell. Du fait d’être une fille seule qui doit assumer pas mal de choses loin de son pays, j’ai ressenti le besoin d’écouter des choses un peu maternelles, les chansons de l’enfance. Ed Harcourt aussi, j’aime beaucoup.
Tout à l’heure, tu as parlé du jugement urbain. Tu sembles être une fille de la campagne…
J’ai besoin de la nature, mais surtout de la solitude pour enregistrer. Chez moi en Californie, je retrouve la vraie nature, sauvage et entière. C’est extrême, il y a des pumas devant la maison de mes parents. Ils vivent très loin de tout avec l’énergie solaire, avec un tipi devant la maison, une cabane dans un arbre. Il n’y a pas une route ou un truc téléphonique sur ces montagnes. Tout est violent comme à la préhistoire. Cependant, dans mon enfance j’ai beaucoup voyagé avec mon père et j’ai vu des grandes villes. Et quand tu grandis là où j’ai grandi, tu es attiré par l’idée de la ville, avec une sensation de sécurité. Le fait qu’il y ait des gens, quelque part ça me rassurait. Quand j’étais petite j’adorais les hôtels. Il y avait de la moquette et des gens partout, donc une sensation de sécurité pour quelqu’un qui a grandi loin de tout, dans la nature, sans électricité niu téléphone.
Et c’est une sensation que tu as trouvée à Paris ?
J’ai découvert Paris quand j’avais 18 ans et cette ville m’a fait un effet particulier. Tout était romantique. Ca m’a séduite tout de suite. Quand je suis revenue, c’était un concours de circonstances. Ca aurait pu être ailleurs.
Est-ce qu’il y avait des thèmes particuliers que tu voulais aborder dans ce disque ?
Je suis assez obsessionnelle. Il y a des métaphores qui se répètent dans tout ce que j’écris. J’ai dû écrire soixante textes pour ce disque. J’ai ensuite choisi en fonction des mélodies et du reste. Finalement il reste seize textes, donc c’est un peu le hasard qui a décidé. Mais j’écris toujours autour des mêmes choses. Sur ce disque je réalise qu’il y a quelques images qui reviennent : celles que j’associe à la conduite en voiture sur les falaises de la côte nord ouest. C’est une image qui raconte beaucoup de choses de ma vie. Il y a des éléments naturels, des références aux drogues alors que je ne suis pas quelqu’un qui prend des drogues. Cela parle de la lame de rasoir qui sépare la rébellion et le compromis. C’est un thème qui m’obsède beaucoup. Le choix de la liberté.
Pour faire plus ample connaissance avec la musique de Brisa Roché, lesinrocks.com vous propose de découvrir en vidéo notre quatorzième Inrocks Session, durant laquelle Brisa nous a joué deux morceaux, Egyptian et Call me.
Brisa Roché sera en concert avec son groupe à la Maroquinerie le 13 décembre.
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