En une centaine de clichés, une exposition photographique retrace l’histoire de la danse hip hop des années 80 à nos jours. Directeur artistique de l’expo et figure mythique du hip hop français, Nasty raconte comment cette discipline a quitté la confidentialité des quartiers. Jusqu’au 8 mai, La Manufacture 111 accueille l’exposition “Street Dance : une brève […]
En une centaine de clichés, une exposition photographique retrace l’histoire de la danse hip hop des années 80 à nos jours. Directeur artistique de l’expo et figure mythique du hip hop français, Nasty raconte comment cette discipline a quitté la confidentialité des quartiers.
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Jusqu’au 8 mai, La Manufacture 111 accueille l’exposition « Street Dance : une brève histoire de la danse hip hop », un parcours chronologique qui regroupe une centaine de clichés de trois photographes, Martha Cooper, Little Shao et Nika Kramer, ainsi que quelques vidéos et peintures. Nasty, directeur artistique de l’exposition et chorégraphe, raconte comment cette pratique, qui a pris racine dans l’esclavage, est passée des quartiers défavorisés du Bronx aux énormes battles qui ont contribué à son succès. Un succès tel que la danse hip hop pourrait bien être récupérée par l’Etat, via un diplôme qui suscite la colère des puristes.
Vous avez choisi de commencer l’expo en parlant de l’esclavage, quel est le rapport avec la danse hip hop ?
Le hip hop n’est pas né dans les années 70, comme ça, d’un coup. Les sources musicales du hip hop, c’est à dire le jazz, le funk, émanent d’un brassage qui ne s’est pas fait dans la paix, mais avec l’esclavage, le commerce triangulaire : les tribus africaines exportées de force sur les terres américaines ont rencontré les cultures occidentales. Ces deux traditions se retrouvent aussi dans la danse hip hop. L’histoire du cercle, qui définit le terrain du battle, vient des traditions africaines.
Pareil pour le call and response, que l’on entend dans la musique R&B ou antillaise : le chanteur lance « est-ce que vous allez bien ? » et le public répond : « oui on va bien ». Ce call and response se retrouve dans la danse. Vous lancez une phrase et moi je réponds par la même phrase ou par la suite.
Les traditions occidentales, elles, s’observent dans les danses de couple. Le Lindy Hop, par exemple, s’est inspiré des danses de salon.
Dans la partie sur les années 80, les photos de Martha Cooper montrent des jeunes New-yorkais danser dans la rue, sur des cartons. A quoi leur servait le hip hop, était-ce une revendication sociale ?
Non pas quand le mouvement est né en 73. Ses créateurs, principalement des Latino et Afro-américains, n’avaient que 15-16 ans. Ils étaient abandonnés de tous, victimes de racisme non pas éthnique, mais du fait du lieu où ils vivaient, le Bronx.
Jusqu’au milieu des années 50, le Bronx était une partie de NY où vivaient en harmonie différentes communautés et classes sociales. Mais les autorités ont décidé de construire une autoroute, qui a suscité beaucoup de nuisances. Les plus riches sont partis. Restait ceux qui avaient le moins de moyens, sans rien au niveau social. La seule alternative pour les jeunes, c’étaient les gangs qui devenaient leur deuxième famille. Mais d’autres jeunes ont décidé de s’élever contre cet état de fait. Il se sont dit « on a un cerveau, deux bras deux jambes », autant les utiliser pour créer autre chose. De là le hip hop a commencé. Même si le terme n’a lui été inventé qu’en 76.
Comment le hip hop est-il arrivé en France ?
En 82, un journaliste indépendant a créé en France une tournée avec des pontes de la culture hip hop, comme Bambaattaa, Rock Steady Crew, etc. Il a réussi à ramener l’univers américain à Paris. Même s’il y a eu très peu de monde à ces événements, des personnes ont commencé à s’intéresser à cette culture. Mais le gros boom est venu des films. La fameuse scène de Flash Dance, où l’on voit les Rock Steady Crew va passer partout et permettre de démocratiser cette forme de danse.
Ça a commencé dans les quartiers ?
Non, ça c’est une lubie de journaliste. Ils ont fait un parallèle avec les EU mais c’est différent. Même si beaucoup de danseurs venaient de la banlieue, ils se rencontraient au Trocadéro, dans les clubs parisiens en plein centre de Paris, comme celui créé par Paco Rabanne à Colonel-Fabien. Puis ça s’est développé dans les quartiers, via les MJC qui ont compris qu’il y avait une jeunesse avide de danse et de son. Les jeunes répétaient au début en free style puis des cours ont été données dans les années 80.
Beaucoup de photos des années 2000 ont été prises lors de gros battles. Ont-ils contribué à l’ hyper-médiatisation du hip hop ?
Des gros battles comme le Red Bull BC One, oui. Ils ont des moyens de malade. Pour organiser un battle en Afrique du Sud, ils vont par exemple louer ou acheter une usine qu’ils vont réaménager, comme s’ils créaient un lieu pour un événement unique. Ça amène beaucoup de monde et contribue à la notoriété des gagnants. Mais encore plus que ces battles, c’est le MC, le maître de cérémonie, le rappeur qui a vraiment développé la médiatisation du hip hop.
Les clichés de Little Shao et Nika Kramer capturent des danseurs du monde entier dans la rue. Cela signifie-t-il qu’elle reste le lieu privilégié du hip hop ?
Pas vraiment, ces poses ont été prises pour les photos. Il reste bien quelques « streeteurs », comme on les appelle, qui officient sur les Champs-Elysées ou à Saint-Michel, mais on a tous aujourd’hui l’opportunité de s’entraîner dans des lieux. Il y a malgré tous des lieux extérieurs qui restent squatter par les danseurs : la Défense, la place Carré à Chatelet, le 104. Mais ce n’est pas pour répéter, plutôt pour se rencontrer, se dire « regarde ce que j’ai travaillé hier, ce que je vais te mettre dans tes dents ».
Il y a aussi une partie consacrée aux B-girls, les danseuses de hip hop. Sont-elles nombreuses ?
Je ne connais pas le pourcentage mais oui, elles sont là, ce ne sont pas les mascottes. Dans ma compagnie, Quality Street, tout le monde danse ensemble, on ne va pas faire des choré différentes pour les filles et les garçons. Et si vous allez voir n’importe quel cours, dans les salles, les filles sont souvent majoritaires.
Dans les commentaires de l’expo vous mettez : « Les institutions auparavant sourdes et aveugles à cette culture se montrent désormais un peu trop intéressées, réclamant même un devoir d’ingérence par le biais de diplômes de la discorde »…
Jusqu’au début des années 90, aucun gouvernement ne nous a calculés. C’est à partir du moment où l’on a commencé à à faire des actions qu’ils ont voulu prendre le contrôle de cette manne artistique mais aussi financière, parce que ces créations ramènent du monde. Il y a deux ou trois ans, ils ont essayé de mettre en place un premier diplôme d’Etat. On s’est constitué en mouvement, on était une bonne quinzaine de passionnés à s’ériger contre ce diplôme, à remonter nos doléances au sommet de l’Etat. Ils nous ont écoutés, mais c’était en fait reculer pour mieux sauter.
Fin 2015, Manuel Valls a annoncé que pour que les quartiers, encore une fois les quartiers, soient reconnus, il fallait créer un diplôme pour former des danseurs. On est revenu à la charge. Le 7 janvier, on a rencontré Fleur Pellerin, lui expliquant que cette culture n’a besoin de personnes pour lui tenir les rênes, qu’il a d’autres problématiques plus importantes : le manque de diffusion pour les compagnies, un manque d’aide à la création. Elle a compris. Mais qu’en sera-t-il avec la nouvelle ministre Audrey Azoulay ? On doit reprendre les négociations.
Dans le cadre de cette expo, La Manufacture programme également de la danse et des débats-projections. Jusqu’au 8 mai.`
https://youtu.be/n0sMZQdrjFA
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