Lancé en Nouvelle-Zélande il y a un an, le label Child Labor Free est censé garantir au consommateur que le produit qu’il achète a été fabriqué sans recours au travail infantile. Son fragile système de certification et les risques de « social washing » permettent pourtant de douter de la pertinence du projet. Nik Webb-Shephard, CEO de […]
Lancé en Nouvelle-Zélande il y a un an, le label Child Labor Free est censé garantir au consommateur que le produit qu’il achète a été fabriqué sans recours au travail infantile. Son fragile système de certification et les risques de « social washing » permettent pourtant de douter de la pertinence du projet.
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Nik Webb-Shephard, CEO de l’organisation néo-zélandaise Child Labor Free, se souvient de l’inauguration du label créé par Michelle Pratt et Nikki Prendergast, deux professionnels de la protection de l’enfance. C’était le 12 juin 2015, « à l’occasion de la journée mondiale contre le travail des enfants ». À quelques jours du premier anniversaire de Child Labor Free, Shephard se montre très évasif sur le bilan et l’impact du projet. Il soutient que « neuf marques ont le label et une douzaine sont en voie de l’obtenir ». Avant d’ajouter : « Mais malheureusement, nous ne sommes pas encore prêts à en dévoiler la liste ». Il reste assez flou, aussi, sur les liens du CLF avec les acteurs historiques de la lutte contre le travail des enfants. L’organisation interagirait « avec un certain nombre d’ONG dans le monde » et serait « en ce moment en discussion avec l’UNICEF ». Récemment, le CLF a annoncé l’ouverture d’une antenne européenne, au Royaume-Uni.
Un système d’accréditation discutable
Nayla Ajaltouni, coordinatrice du collectif français Ethique sur l’Étiquette (engagé dans la défense des droits économiques et sociaux fondamentaux au travail) est dubitative face à une telle initiative :
« Les informations disponibles sur le site public du Child Labor Free sont trop imprécises pour juger de la crédibilité du label. Il n’y a aucune information sur le référentiel utilisé, ni sur les procédures d’audit des enseignes et de leurs chaines de production. Le site mentionne notamment le fait que, pour être labellisées, les entreprises devront fournir des éléments sur leurs filières de production. Quelle est la part du déclaratif au regard des preuves concrètes ? Et, surtout, dans quelle mesure ce label s’intéresse aux pratiques économiques des donneurs d’ordre ? »
Webb-Shephard tente un éclairage : « Quand une marque s’inscrit pour obtenir le label, elle fournit des informations sur sa chaine d’approvisionnement, ce qui inclut des informations sur les usines, les certifications existantes et les process de l’entreprise. Tout cela est ensuite évalué par un membre de l’équipe du Child Labor Free, et souvent aussi par un consultant externe, avant d’être soumis au jury de l’organisation. » À ce stade, la marque peut alors être labellisée ou subir des audits complémentaires – parfois « semi-annoncés » – dans ses usines.
Des risques de conflits d’intérêts
Autre aspect surprenant du schéma pour lequel a opté le Child Labor Free : son étroite collaboration avec un des plus puissants cabinets d’audit au monde. « Ernst & Young a travaillé avec Child Labor Free pour développer notre processus de certification, il a aussi mené des recherches sur le travail infantile dans le monde, et développé une matrice d’évaluation des risques spécifiques à chaque pays, détaille Nik Webb-Shephard. En parallèle, Ernst & Young supervise les procédures du CLF et de tous les autres partenaires d’audit avec lesquels nous travaillons. » Nayla Ajaltouni s’interroge sur la possibilité de conflits d’intérêts « entre un organisme qui procède à des audits et qui gère un système d’accréditation, s’il travaille – lui-même ou l’une de ses filiales – pour une ou plusieurs des compagnies qui sont justement susceptibles d’être auditées dans le cadre d’un tel label. » Le CEO rappelle qu’« Ernst & Young est une organisation mondiale reconnue et extrêmement respectée. »
Les droits des enfants utilisés comme argument marketing
Par ailleurs, l’efficacité de la méthode elle-même est contestée par Nayla Ajaltouni : « On sait depuis quelques années que le système d’audit ne garantit en aucun cas le respect des droits humains fondamentaux. De nombreuses usines ayant été auditées ont ainsi connu des drames humains. Même certaines usines du Rana Plaza avaient ainsi été auditées ! » Elle considère, en outre, que « les approches segmentées des droits sont souvent des initiatives douteuses. La question des droits des enfants est médiatiquement vendeuse et peut constituer un argument commercial. On ne peut pas dissocier le problème du travail des enfants des autres violations des droits fondamentaux au travail. (…) Eradiquer le travail infantile ne passe pas par un label, mais par une politique plus globale qui imposerait aux multinationales de rémunérer suffisamment les ouvriers de leurs chaines de sous-traitance pour qu’ils ne soient pas contraints d’envoyer leurs enfants au travail pour obtenir des revenus complémentaires. Il faut responsabiliser les États et les multinationales, garantir la liberté syndicale, engager une réflexion sur les prix imposés aux fournisseurs. Mais un simple label risque de favoriser les initiatives de social washing et de social marketing, sans contribuer à changer le système. »
En 2015, l’UNICEF estimait à plus de 150 millions le nombre d’enfants travaillant sur la planète.
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