Eprouvé par le succès, revenu d’une cure de désintox qui lui a coûté le sourire,Eminem
se reconstruit doucement. Une renaissance difficile qui mine son cinglant nouvel album, Recovery. Rencontre et écoute intégrale.
Pour retrouver Eminem dans un palace parisien, il suffit de suivre les imposants gardes du corps postés à tous les étages. Au bout des longs couloirs glacés de ce labyrinthe pour milliardaires, la porte s’ouvre sur le rappeur, flanqué de Paul Rosenberg, manager aussi imposant qu’omnipotent qui fliquera la discussion. Sécurité maximale.
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Visage rentré, poings serrés dans les poches d’un sweat à capuche aussi gris que ses yeux, Eminem parle d’une voix monocorde. Ni hostile ni enthousiaste, il semble surtout las. Des excès de drogues et de médicaments, mais aussi de cette vie de superstar épiée sans relâche et enfermée dans une maison de verre comme sur la pochette de Recovery (“guérison”) : “Je n’aime pas ça mais je gère. Je ne suis pas amer, car je me suis mis moi-même dans cette position, mais il est difficile de vivre lorsque le monde commente tes moindres gestes. Je ne suis jamais parvenu à m’y faire.”
Les mâchoires crispées qui gonflent la peau diaphane au bas de ses joues trahissent sa nervosité. Engoncé dans son costume de superstar, sous le feu des tabloïds et des ligues puritaines qui ont transformé chacun de ses faux pas en esclandres planétaires, Eminem est devenu méfiant. On dirait qu’il flaire ses coups de sang, qu’il étouffe le scandale qui pourrait naître de sa réponse. “Qu’est-ce que cet enfoiré essaie de me faire dire ?”
Il ne traite plus personne de faggot (“pédé”), ne risque plus aucune blague sur Sarah Palin ou Michael Jackson : “J’ai fini par comprendre que mon humour n’est pas toujours judicieux. Jamais, pourtant, je n’ai dit de choses méchantes pour qu’elles soient prises au sérieux. Ça aurait juste dû être drôle.” Eminem est (re)devenu Marshall Mathers, un rappeur abîmé par ses excès comme par ceux des autres, qui ne peut même plus rire de ses hâbleries de branleur et des grossièretés qu’il accumule sur ses albums.
Les sarcasmes noirs se sont éteints : “Dans ce disque, le ton est différent. Tel fut mon défi : m’arrêter un peu, au milieu de cette vie, et être sérieux un instant. J’ai écrit des phrases qui pèsent sur ma conscience.” Pétri de remords obscurs et d’espoirs saumâtres, Recovery est son disque le moins drôle. Peu importe le sang qui gicle pendant l’opération cathartique, le rappeur y déroule avec une honnêteté aussi brutale que touchante le désastre qu’est devenue sa vie, quitte à révéler ses faiblesses sur des thèmes que ses pairs évitent avec constance.
Là où la plupart se répandent en explications foireuses pour justifier leurs diss (attaques personnelles dans les raps), Eminem arrache ce voile hypocrite en regardant au fond de lui : “La haine coulait dans mes veines, au bord de la folie/J’ai presque écrit une diss-song contre Lil Wayne/Parce que j’étais jaloux de son succès/Il rappait, alors que moi je ne pouvais plus.” Recovery porte les stigmates de l’enfer.
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