Ça commence par un incendie et ça s’achève dans l’incandescence. Une nouvelle édition luxueuse éclaire sous un jour nouveau le dernier des grands albums de The Cure, paru en 1989. Récit et écoute intégrale.
Aux abords de l’automne 1988, les membres de The Cure dînent tranquillement chez Robert Smith à Londres, satisfaits et détendus après les premières sessions d’un futur album dont la gestation s’annonce sans nuage. Pile dix ans après son premier single (Killing an Arab), le groupe anglais a subi plusieurs métamorphoses mais la stabilité de son leader – qui vient d’épouser en justes noces sa compagne de toujours, Mary Poole – et son récent carton aux Etats-Unis le maintiennent parmi l’élite du rock international, où il forme avec Simple Minds, U2 et Depeche Mode le quarté new-wave ayant réussi sa reconversion auprès des masses.
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Sans nuage, donc. Sauf qu’au premier étage une épaisse fumée se dégage subitement, due à un court-circuit qui a démarré dans la chambre où Robert Smith a pris l’habitude de s’isoler pour écrire les textes des nouvelles chansons. Rangées dans une sacoche prisonnière des flammes, les paroles en question menacent ainsi de partir en fumée, mais dans la panique générale provoquée par l’incendie, Smith refuse de quitter les lieux sans avoir sauvé son précieux trésor, engageant les autres à former une chaîne humaine pour le récupérer.
Cet acte de bravoure, dont on imagine aisément l’hallucinant tableau – une bande de types coiffés comme des dessous de bras et vêtus de costards XXL susceptibles de partir en torche à tout moment –, aura sans doute apporté un peu d’adrénaline et redonné le goût du danger au moment où The Cure en manquait cruellement.
Devenu une énorme machine pop ayant en chemin soldé son âme tourmentée des débuts au profit d’un gothique de bazar, le groupe ne semblait plus en mesure, les dernières années, de rivaliser artistiquement avec ses fièvres passées. Pourtant, voyant s’approcher la trentaine (il est né en 1959), Robert Smith compte marquer l’événement en enregistrant un album moins superficiel que les derniers The Head on the Door (1985) et Kiss Me Kiss Me Kiss Me (1987). Il entend même remettre carrément au feu les fers qui ont servi à l’époque de Pornography (1982), dernière preuve de l’incandescence véritable du groupe.
Les chansons qu’il a composées vont dans ce sens. La plupart des demos instrumentales en ont posé les armatures, mais c’est surtout sur ses textes sauvés in extremis des enfers et sur son talent d’apprenti sorcier des studios que Smith, aidé par le producteur David M. Allen, compte faire reposer la réussite d’une alchimie dont il tient absolument à ressusciter les secrets.
Hormis l’incendie, deux autres événements viennent parasiter les premières séances d’enregistrement du mois de novembre 88. D’abord l’annonce du suicide de deux adolescents qui, selon l’enquête, écoutaient au moment des faits les premiers albums de Cure. Choqué, mais bien décidé à exorciser ce traumatisme à travers les nouvelles chansons, Robert Smith épinglera dans le studio un article de journal relatant le drame.
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