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Enfant de la mode, Daphné Bürki a travaillé chez Dior avant de devenir une figure de la télévision. Entretien avec une femme libre, curieuse et déterminée.
Comment as-tu réagi quand on t’a proposé de poser pour cette série tomboy ?
Daphné Bürki – Je ne suis pas très fille, pas si féminine. J’adore les fringues, j’aime me créer des personnages. À la télévision, les filles sont très féminines, on montre les jambes, le décolleté, tout ce qu’on peut montrer, en fait. Les femmes sont très exposées au regard. On ne m’a pas du tout éduquée comme ça. Je ne dévoile aucun attribut, je n’en ai pas beaucoup d’ailleurs ! Donc jouer les tomboy, ça m’arrangeait !
Avant cette série de photos, qu’associais-tu à cette image de garçon manqué ?
Une idée de liberté, de bien-être dans son corps, dans ses mouvements. On enfile un jean, des baskets. On n’est pas là pour parader, ni pour être dans une séduction permanente. Je me reconnais dans cette idée. J’ai un grand frère, j’ai toujours été entourée de garçons. Petite, je n’étais pas garçon manqué. En fait, je ne sais pas bien ce que veut dire cette expression. Je suis peut-être une fille manquée. Je n’ai jamais été très « princesse », je ne crois pas à ces mythes.
Comment définirais-tu le style ?
Une façon de se déplacer dans l’espace. Ton style, c’est ton âme, pas tes fringues. Tu peux porter la dernière silhouette en vogue et être transparente. Surtout, le style n’a rien à voir avec l’argent. C’est une grosse connerie colportée par les magazines féminins, quand ils te disent que tu dois absolument avoir cette paire de chaussures à 1 700 euros pour ressembler à quelque chose. Catastrophe ! Dans Just Kids, Patti Smith, que j’adore, raconte comment elle s’habillait avec trois bouts de ficelle. Elle savait exactement quelle silhouette était la bonne.
Quelles étaient tes icônes, tes références ?
Principalement ma mère, qui était une grande modeuse, même si je ne l’avais pas compris enfant. On vivait à Pigalle, elle avait une allure un peu chelou quand elle venait me chercher à l’école. Elle portait du Alaïa, du Yamamoto, des choses très masculines, justement, et structurées, des Stephane Kélian aux pieds. Elle m’a appris l’importance de la coupe et des volumes mais sans m’en parler ; pour elle, c’était normal. Elle était toujours entourée d’artistes. Ma mère avait son atelier dans la maison, j’y ai parfois dormi, au milieu des pots de peinture. J’ai été élevée dans un univers artistique, et avec le recul, je me dis que j’avais une grande liberté. Toute petite, je voulais bosser dans la mode, ce spectacle incroyable. Gamine, j’adorais Lacroix, Westwood. Aujourd’hui, les créateurs que j’aime sont comme des nonnes entrées au couvent : ils oublient presque leur vie pour se consacrer à leurs créations. Lemaire, Dries van Noten sont comme ça.
Tu étais du genre studieuse ?
Non, non ! Je comprenais très bien ce qui se passait, mais j’étais une grosse glandeuse. Aujourd’hui, tout ça a bien changé ! J’arrivais en cours en talons, c’était naturel pour moi. J’étais énervante à la base. Je me suis pris pas mal d’avertissements pour mon comportement, et en 3e, je me suis fait virer. Après, j’ai trouvé un lycée qui m’a accueillie gentiment. Pour moi, c’était tout tracé, j’allais bosser dans la mode et puis c’est tout. Une prépa et une année aux Beaux-Arts plus tard, j’ai intégré une école de stylisme, l’école Fleuri-Delaporte. À 22 ans, je suis arrivée chez Dior, avec John Galliano. Je trouvais que c’était le plus brillant. Je suis directement devenue styliste spécialisée vêtements, corseterie, lingerie, beach wears. Nous étions deux et j’avais mon atelier avenue Montaigne à Paris. J’ai fait ça pendant deux ans. Les défilés de création, c’était super : « Alors le thème de création, en fait, c’est Napoléon à Brooklyn qui rencontre une prostituée… » Ça partait comme ça, c’était génial. Tu dessines, tu t’éclates. La partie commerciale me plaisait moins.
La télévision est arrivée par accident ?
Totalement. J’étais chez Dior quand quelqu’un m’a appelée : « Y a une productrice qui cherche des gens pour parler de leur boulot, tu veux pas venir ? » À l’époque, on bossait sur les sextoys, c’était le début du porno chic. Je me suis retrouvée sur le plateau de Nous ne sommes pas des anges et Maïtena Biraben m’a dit : « Tu fais ça, tu te mets là »… Je travaillais à l’époque sur le sadomasochisme gay et lesbien. Je revenais de Londres avec des sacs qui n’étaient pas passés par le détecteur, remplis de cravaches en diamant, de vibros, de lubrifiants… Le mec de la douane voit la cravache et dit : « C’est pas pour les chevaux, ça. » Heureusement qu’il n’a pas ouvert le reste ! Donc, quand je suis arrivée sur le plateau avec mes sacs, j’étais tranquille… On essaie une, deux chroniques, c’était marrant. J’ai demandé à Galliano si je pouvais faire cette chronique une fois par semaine. Il m’a répondu : « Tu ne peux pas être médiatisée. Tu es avec moi à 100 % ou pas du tout. » À l’époque, le côté chef de produit et business ne me plaisait pas, alors je lui ai dit: « Bah, je vais y aller. » Puis on m’a annoncé : « Tu as quinze minutes pour récupérer tes affaires. » J’ai claqué la porte, je suis partie en courant et j’ai pleuré. Chez Dior, une démission, ça n’existe pas. J’ai su qu’en dix ans, ils n’avaient eu que deux départs. On n’a qu’une vie, il faut tout essayer et je n’ai pas peur de l’inconnu.
Tu t’es tout de suite sentie à l’aise à la télé ?
Oui. Je venais d’un milieu prétendument hystérique mais c’était du pipi de chat à côté. La Matinale m’a appris la rigueur, j’y ai compris le boulot de journaliste. Puis il y a eu Les Maternelles, émission à laquelle j’étais déjà très attachée. J’ai été attentive aux invités, à cette période très fragile qu’est la maternité : des parents et grands-parents regardent ce programme durant ce moment si délicat. L’enjeu n’était pas le même, et j’ai bossé comme pour une première année de fac. D’autant que je n’y connaissais rien. Par la suite, Bruno Patino (directeur de France 5 – ndlr) m’a demandé d’assurer l’intérim d’Alessandra Sublet pour C à vous. J’étais à fond sur France 5 et je ne m’attendais pas du tout à être contactée par Le Grand Journal.
As-tu lu ce qui se dit sur toi depuis que tu es à l’antenne ? On t’a reproché ton rire, par exemple.
Je m’attendais à tout sauf à ça. C’était à l’issue de la première semaine, où l’on a réalisé les meilleures audiences du Grand Journal depuis sa création. Et là, on me dit : « Ah mais quand même, ce rire. » Ma mère m’a appelée en me disant que Morandini parlait de mon rire. On atteint des sommets ! J’ai retourné le truc en disant sur le plateau : « Je suis désolée, ça ne changera pas, je ne peux rien y faire. »
Pour ne pas devenir dingue à la télé, il faut surtout assumer ce qu’on est ?
Oui. Je ne peux pas changer : tout se voit sur ma gueule, il n’y a pas de filtre. Mon problème est d’arriver à trouver la bonne distance. Je suis optimiste, j’aime qu’on m’explique les choses avec le sourire. Peut-être que je devrais faire la gueule, mais ça n’arrivera pas.
Pour la première de l’émission, avant le générique, tu t’es montrée à poil, floutée. C’était ton idée ?
Oui. En fait, Denisot me fait beaucoup rire. On s’amuse énormément. Ça a été déterminant dans ma décision de le rejoindre au Grand Journal. J’avais envie de montrer comment ça se passe entre nous : ces prégénériques sont comme des instantanés de notre journée, de nos échanges. Pour la première, ça m’amusait de désamorcer tout de suite le côté « mais comment tu vas t’habiller, te coiffer ? ».
Alors, j’ai dit : « Je n’ai rien à me mettre. » Rien n’est formaté, les gens quie suivent le savent. On m’a mise sur un siège télé en dix minutes, je ne connais pas les bons gestes, je suis grimaçante, je ris trop fort : je ne m’interdis pas grand-chose.
As-tu craint d’être cataloguée « fille rigolote » ? De passer pour une potiche ?
Je ne sais pas si je suis drôle. Je suis joyeuse, oui, mais il y a du fond, si on écoute. Et je préfère que l’on dise que je suis un clown plutôt que chiante. Je ne me sens pas du tout potiche. Le jour où ça arrivera, je me casserai très vite. Ce que j’aime à la télé, c’est que c’est très franc. Si tu ne fais pas l’affaire, si les téléspectateurs n’ont plus envie de te voir, on te dégage. En mode, on te met dans un placard et on te rabaisse jusqu’à ce que tu crèves. À la télé, il y a un turn-over très dynamique. Ça me va très bien. Je n’ai pas besoin d’avoir un truc stable. Et puis la télé, ce n’est pas du tout une fin en soi puisque je ne viens pas de ce milieu-là. Si ça s’arrête, je ferai autre chose. Je trouve même ça excitant.
Recueilli par Géraldine Sarratia
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