Dans le film de Billy Wilder, Fedora, star de cinéma exilée, ne sort jamais sans gants. Un accessoire hautement symbolique que décrypte pour nous Jean Marc Lalanne, de Garbo à Michael Jackson. Qu’est-ce une star sinon la somme de ses accessoires ? Presque rien, à peine le tracé d’un visage enseveli derrière des lunettes, un foulard […]
Dans le film de Billy Wilder, Fedora, star de cinéma exilée, ne sort jamais sans gants. Un accessoire hautement symbolique que décrypte pour nous Jean Marc Lalanne, de Garbo à Michael Jackson.
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Qu’est-ce une star sinon la somme de ses accessoires ? Presque rien, à peine le tracé d’un visage enseveli derrière des lunettes, un foulard et des gants, répond l’affiche de Fedora. Fedora, c’est l’avant dernier film de Billy Wilder, un codicille tardif (1978) à son anthologique Sunset Boulevard (1950), une nouvelle méditation sur les vanités de la gloire – moins sarcastique, plus écorchée, une ultime déconstruction de ce mythe du XXe siècle créé il y a 100 ans sur la côte californienne : la star de cinéma.
Une star qui s’exile délibérément pour se claquemurer doublement (derrière les grilles immenses d’une forteresse sur une île au large de la Grèce ; derrière celles, non moins inamovibles de ses voiles/gants/lunettes) et exacerber le désir de traque des paparazzis : on a reconnu l’histoire, c’est celle de Garbo, 15 ans de tournage puis 50 ans de disparition. La star de fiction de Billy Wilder lui emprunte donc très logiquement sa manière vestimentaire : pantalons larges et souples, vestes masculines et ces fameux accessoires de dissimulation. Mais dans l’ombre d’une star dissimulée peut en pousser une autre.
Au cœur du film, le personnage principal masculin, un producteur qui rêve de faire revenir la grande Fedora devant les caméras, s’immisce en cachette dans sa demeure. Il fouille sa chambre et fait une étrange découverte : dans un tiroir se trouvent minutieusement rangés des centaines de longs gants blancs. Mais pourquoi, pour qui, tant de gants ?
En 1978, lorsque le film sortit dans l’indifférence générale, on ne pensait qu’à Garbo. En 2013, et alors qu’on mesure l’invraisemblable beauté de ce conte gothique et fou, on voit beaucoup de monde dans le miroir de Fedora. D’autres actrices bien sûr, mais pas que. Ces gants blancs, ce sont aussi ceux Michael Jackson, dont la silhouette androgyne et sans âge des vingt dernières années n’est pas sans évoquer celle de Fedora et qui lui aussi devait avoir plein des gants blancs plein les tiroirs.
Les gants blancs de Michael Jackson, c’est beaucoup de choses à la fois. Ils évoquent les gants des valets noirs dans les grandes propriétés sudistes du XIXe siècle, attribut ultime d’élévation sociale pour ceux que les blancs nommaient alors « les nègres de maison » et dont la reprise de ce dérisoire attribut par celui qui rêvait d’être au minimum le Roi de la Pop et au fond le maître de l’univers pouvait avoir quelque chose d’ironique. Mais ces gants blancs, c’était peut-être aussi l’envie d’afficher des mains blanches, qui en termes symboliques disent toujours l’innocence, alors même que l’opinion publique puis la justice n’ont eu de cesse de l’accuser de vilains jeux de mains. Le gant, c’est aussi un vêtement qui colle à la peau, la recouvre et la double, une sur-peau. Et que cette seconde peau soit blanche n’était que l’accomplissement d’un processus de dépigmentation amorcé sur la peau noire de l ex-idole Motown.
Et les gants blancs de Fedora ? Que révèlent-ils en tentant de dissimuler ? Le personnage donne une clé. En serrant la main à son interlocuteur, elle s’excuse auprès de lui de ne pas ôter ses gants et ajoute en surjouant les minauderies de coquette que son médecin esthétique réussit des miracles sur son visage, mais que ses mains la trahissent. Tout dans un corps peut mentir sur son âge, sauf les mains. Le temps, qui, en matière de dégradation de tout, ne prend lui jamais de gants, se verrait avant tout dans les mains. Sauf que l’ultime coup de théâtre du film (attention spoiler) consiste a inverser ce que le gant cache et ce qu’il devrait cacher. Dans cette histoire toute en reflets, doublures et mascarades, ce ne sont pas des tâches de vieillesse que dissimule tous ces gants blancs, mais au contraire une peau trop souple et trop lisse pour être celle de la grande Fedora. Et c’est le lien entre ce qui cache et ce qui caché que Billy Wilder retourne. Comme un gant.
Jean-Marc Lalanne
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